de Corondar » Ven 25 Nov 2022 01:19
Vu de loin, l'Alaska pourrait paraître un état très républicain et conservateur, en réalité c'est un état plus centriste et modéré qu'il n'y parait (il est surtout de tendance libertarienne). Le gouverneur sortant s'épargne la répartition des seconds choix en dépassant les 50% dès le premier décompte, la représentante démocrate sortante bat Palin avec 55% des voix, et la sénatrice sortante républicaine bat la candidate trumpiste avec 54% des voix. Le niveau de split tickets est ici très élevé, et les candidats qui tirent leur épingle du jeu sont les plus centristes.
Avec la réélection de Peltola en Alaska et des sortants démocrates dans les districts du comté d'Orange en Californie, les démocrates réussissent donc bien le tour de force de gagner la totalité des districts de la façade Pacifique.
Je vais tenter un petit tour d'horizon des résultats dans plusieurs états.
Arizona
Un état qui confirme être un swing state majeur, la citadelle républicaine n'est plus ici. Si le GOP parvient à empocher les 2 districts tangents à la Chambre (avec des marges très courtes), les candidats trumpistes aux postes fédéraux de l'état ont tous bu la tasse. Il reste encore une petite incertitude pour le poste d'AG (le candidat démocrate n'a que quelques centaines de voix d'avance sur près de 2.5 millions de suffrages exprimés), mais les démocrates font un carton plein avec les postes de sénateur, de gouverneur (qui bascule), de secrétaire d'état et d'AG (même avec un écart aussi réduit, je pense que la victoire démocrate sera quand même au bout). On a également une forte poussée démocrate dans les assemblées locales (dans les 2 assemblées, les républicains conservent leur majorité d'un cheveu : 1 seul siège d'avance dans chacune).
Le sénateur Kelly a confirmé son implantation et la solidité de son équation personnelle : 5 points et 125 000 voix d'avance, c'est net et sans bavure. Si on cherche un état pour symboliser la répudiation du trumpisme c'est celui ci : les 4 candidats défaits étaient tous d'ardents trumpistes qui ont fait campagne sur les "fraudes" électorales. Dans un état où les mannes de feu le sénateur McCain ont imprégné certains électeurs républicains d'un penchant centriste c'était une très mauvaise pioche.
Les démocrates confirment leur progression dans le comté clef de Maricopa.
Caroline du Nord
Un état au fort potentiel de swing state sur le papier qui continue à être assez décevant pour les démocrates. Les républicains conservent assez facilement le poste de sénateur (la marge est pas démente non plus : 3 points et 120 000 voix, mais avec un siège ouvert et une tendance nationale pas si hostile aux démocrates, ça aurait pu être plus prometteur pour les démocrates). On notera qu'ici les républicains n'ont pas fait la fleur aux démocrates de nominer un mauvais candidat. Tout n'est pas totalement négatif pour les démocrates cependant : ils ont tout de même fait basculer le district 13 tangent, et dans les assemblées locales ils ont réussi à empêcher les républicains d'obtenir des super majorités qui auraient pu contrecarrer le veto du gouverneur démocrate. Par contre, sur les élections à la cour suprême local les républicains sont désormais majoritaires.
Dans cet état, je pense que les démocrates devraient réellement mettre le paquet au niveau du parti local, sur le modèle de la Géorgie ou du Nevada, pour essayer de réussir à enfin opérer la bascule qui continue à leur échapper.
Colorado
Ici, c'est l'équivalent de la Floride, mais pour les démocrates : grosse vague bleue pour le parti de l'âne, qui fait réélire très facilement le sénateur et le gouverneur. Grosse poussée bleue aussi dans les districts à la Chambre et dans les assemblées locales. Un ancien swing state qui n'en est plus.
Floride
Ici c'est champagne pour les républicains. Ils progressent massivement à tous les échelons, le gouverneur et le sénateur sortants sont réélus avec des scores de maréchaux (du moins au regard de l'historique de l"état), l'ancienne citadelle démocrate de Miami Dade n'est plus, au niveau des districts c'est un bain de sang pour les démocrates (bien handicapés par une carte salement gerrymandée aussi), dans les assemblées locales aussi.
Les causes de ces succès républicains sont connues : de plus en plus de retraités aisés, et des communautés cubaines et vénézuéliennes qui votent de plus en plus républicain. Ceci étant, si je retire désormais cet état de la zone swing state sans hésitation, je constate tout de même quelques éléments :
1) ici le parti démocrate local est en totale déshérence depuis quelques années
2) sur ces midterms on a eu une abstention massive de l'électorat démocrate (qui sentait venir le raz de marée républicain et ne s'est donc pas déplacé ?). Au niveau des électeurs inscrits dans l'état, on a 37 ou 38% de républicains pour 35 ou 36% de démocrates. Sur ces midterms, les républicains ont représenté 42% des votants, les démocrates seulement 28% !
3) malgré les succès républicains, ici aussi les électeurs indépendants (qui représentaient donc 30% des votants) ont présenté, comme pour la tendance nationale, un résultat plutôt bon pour les démocrates (en Floride, on est ici sur du 50/50 entre démocrates et républicains)
Bref, je tire tout de même des ces 3 points que les démocrates pourraient éventuellement rendre de nouveau l'état compétitif, mais cela nécessiterait un long travail de terrain et de longue haleine. Mais je ne parierai pas trop là dessus : je pense que le parti démocrate préférera investir dans des états potentiellement plus à leur portée. Du coup je prédis que la Floride va confirmer son glissement à droite dans les années à venir : un destin proche du Colorado, mais pour un parti différent.
Géorgie
Tout comme l'Arizona, un état au haut potentiel de swing state désormais. Ici aussi, les républicains ont choisi un candidat sénatorial très mauvais, on ne remercie pas Trump. Beaucoup de split tickets aussi ici, et tout comme en Arizona les électeurs républicains semblent montrer une certaine appétence pour des candidats un peu plus centristes (le gouverneur et le secrétaire d'état républicains sortants ayant défendu la validité des résultats électoraux de 2020 de leur état contre Trump et ses sbires). Même si Abrams échoue pour la seconde fois à conquérir le poste de gouverneur (contrairement à 2018 elle a concédé sa défaite), elle a clairement mis en place un parti démocrate local redoutablement efficace dans la mobilisation du vote anticipé des minorités. Et, tout comme en Arizona, les résultats des comtés de banlieues de la ville principale (Atlanta ici) sont très encourageants pour les démocrates.
Petit focus sur le run-off : ça se complique encore pour le candidat républicain Walker. Désormais 2 de ses anciennes maîtresses affirment qu'il a payé leur avortement (et les 2 apportent des éléments accréditant largement leur version, sans parler du fils de Walker qui confirme aussi). Et il affronte depuis peu une nouvelle polémique : sur sa déclaration fiscale de cette année il a déclaré sa résidence principale au Texas, ce qui lui a donc octroyé une remise d'impôts de 1 500 dollars auprès de cet état. Mais pour être candidat en Géorgie, il a déclaré sa résidence de cet état comme étant sa résidence principale (la Géorgie exigeant la résidence de ses candidats). Bilan : soit Walker est coupable de fraude fiscale au Texas, soit il est coupable de fraude électorale en Géorgie (faut vraiment que les républicains arrêtent de se choisir des candidats parachutés). Cerise sur le gâteau : les cours de justice ont donné raison aux démocrates qui réclamaient l'ouverture des votes anticipés dès ce dimanche. Le souci, c'est que seuls les comtés démocrates seront prêts, pas les comtés républicains.
Bref, le sénateur démocrate Warnock me parait de plus en plus favori. Là aussi, je me risque à un prono : la marge de sa réélection sera supérieure à celle de sa victoire sur le run-off de 2021 (2 points et 95 000 voix à l'époque).
Michigan et Pennsylvanie
Je mets les 2 états ensemble, car les résultats sont très semblables : forte poussée démocrate ici à tous les échelons. Dans les 2 états les républicains ont nommé des candidats catastrophiques. Un antisémite notoirement extrémiste pour le poste de gouverneur de Pennsylvanie, un millionnaire élitiste et parachuté pour le poste de sénateur de Pennsylvanie, et une ardente défenseure de l'avortement pour le poste de gouverneur de Michigan (avec un fiasco XXL sur les primaires avec des favoris qui ne se qualifient pas pour cause de fraudes sur les signatures d'électeurs). On dira que ça partait déjà mal :).
Derrière, les démocrates avaient eux de très bons candidats (et oui, je persiste et signe, mais même avec son attaque, Fetterman était clairement un très bon candidat, très humain et qui malgré sa convalescence aura plus quadrillé le terrain que Oz), au Michigan les démocrates ont organisé un référendum sur l'avortement (là aussi, fiasco XXL des républicains qui ont essayé de manière assez pathétique et ouvertement anti démocratique de l'empêcher, sans succès).
Dans ces 2 états, les banlieues et les indépendants ont massivement opté pour les démocrates, et il y a une raison principale déterminante : l'avortement. Dans ces 2 états, ça a pesé lourd. On notera aussi que dans ces 2 états, les démocrates ont réussi à imposer des comités indépendants désormais en charge des découpages électoraux. Du coup, ça se voit dans les résultats : pas de gerrymandering, les démocrates sont majoritaires en voix, ils sont donc majoritaires en sièges. CQFD.
Clairement, de tous les états sur ces midterms, c'est ces deux là qui ont présenté les résultats les plus potentiellement inquiétants pour les républicains. Maintenant que les démocrates sont en charge des assemblées locales, ils vont pousser leur avantage (inscription automatique des électeurs dès l'obtention du permis, généralisation du vote anticipé, multiplication des lieux de votes et rallongement des délais de votes, référendums sur des questions sociétales, et j'en passe). Et tout comme pour la Floride, au niveau des résultats on est pas loin de landslide pour les victoires démocrates au regard du statut tangent de ces états : 5 points et 260 000 voix pour le Sénat de Pennsylvanie et 15 points et 800 000 voix pour le gouvernorat, 10 points et 500 000 voix pour le gouvernorat du Michigan. Et, contrairement, à la Floride, ces victoires démocrates très nettes s'obtiennent avec des taux de participation très élevés (supérieurs au cru déjà historique de 2018).
Nevada
Résultat qui pourrait être un peu mitigé pour les démocrates, mais, à tout prendre, je pense que ça reste plutôt positif au global pour eux. Certes ils perdent le poste de gouverneur et ils conservent de très peu le poste de sénateur, confirmant que cet état est très disputé, mais il y a clairement un petit avantage pour les démocrates. Ces derniers y disposent d'un parti local très efficace dans la mobilisation des troupes (héritage de feu le sénateur Reid), là où le parti républicain local semble un peu plus divisé. Le poids des syndicats de casinos à Las Vegas semble aussi faire la différence. Et en plus du poste de sénateur, les démocrates conservent leurs 3 districts à la Chambre et leurs majorités dans les 2 assemblées locales. Il se confirme aussi que les sondages ont ici une fâcheuse tradition de sous-estimer les démocrates (ou de surestimer les républicains ?).
Mais ici les républicains peuvent continuer à tenter la bascule (même si l'état ne vaut pas le Michigan ou la Pennsylvanie).
New Hampshire et Vermont
Je mets ces 2 états ensemble bien qu'ils ne soient pas du tout dans la même catégorie, mais parce qu'ils présentent des situations semblables : ici c'est la fête au split ticket. Au Vermont c'est assez hallucinant : 133 000 voix et 71% pour le gouverneur républicain, 117 000 voix et 68.5% pour le nouveau sénateur démocrate (qui entame son premier mandat, contrairement au gouverneur républicain qui était sortant). C'est un peu moins massif au New Hampshire, mais c'est aussi net : 332 000 voix et 53.5% pour la sénatrice démocrate, 353 000 voix et 57% pour le gouverneur républicain.
On est sur des états qui sont de plus en plus compliqués pour le GOP très à droite d'aujourd'hui, et qui confirment de plus en plus leur attrait pour les démocrates ou des républicains très centristes (qui deviennent de plus en plus rares dans le GOP actuel).
Ici, c'est un peu comme la Floride : en mettant le paquet sur le terrain et sur l'émergence de nouvelles figures locales, le GOP pourrait éventuellement retrouver des couleurs. Mais ça nécessiterait beaucoup de temps et d'investissement, et je pense que là aussi le GOP préférera opter pour des cibles plus tentantes.
Ohio
Équivalent du Colorado, mais pour les républicains. Un swing state qui n'en est plus. Les démocrates n'ont plus grand chose à espérer ici. On notera tout de même le relatif bon score du candidat démocrate sénatorial Ryan : seulement 6 points de retard, c'est pas mal. Vance peut dire merci au glissement à droite de l'état : c'est le seul candidat trumpiste en vue qui réussit à s'imposer (mais c'est aussi le candidat trumpiste que le Donald humiliait le plus publiquement, ça a peut-être joué en sa faveur du coup :) ). Ceci dit, le relatif effet d'entraînement de Ryan a peut-être permis aux démocrates d'enregistrer quelques succès un peu surprenants sur les districts à la Chambre : ils conservent les districts tangents 09 et 13, et ils basculent le 01 (pour le coup, grosse surprise chez moi sur ces 3 districts). A cet égard, c'est un peu le même phénomène constaté à New-York mais pour le GOP : le relatif bon score du candidat républicain sur le poste de gouverneur a sans doute permis aux républicains d'emporter quelques districts tangents à la Chambre (et une carte nettement moins gerrymandée qu'en Ohio aussi :) ).
Wisconsin
Le roi des swing states désormais, qui détrône la Floride, et qui est sans conteste le bellweather state par excellence. Ici, le gouverneur démocrate sortant est réélu, assez confortablement qui plus est selon les standards de l'état (90 000 voix et 2.5 points), à ma grande surprise. Encore plus étonnant, le sénateur républicain sortant a senti le vent du boulet : 25 000 voix d'avance et 1 tout petit point d'écart, c'était nettement plus serré qu'attendu. Seul état où c'est peut-être les démocrates qui ont commis une erreur de candidat : un candidat moins libéral et plus centriste aurait peut-être emporté le siège ?
Par contre, ici, on voit les ravages du gerrymandering par rapport au découpage indépendant du Michigan : alors que les démocrates ont soit autant de voix que les républicains soit un peu plus, les républicains continuent à prendre la part du lion sur les districts fédéraux et les assemblées locales.
De tous ces résultats, je relève quelques constats :
1) it s the candidates stupid !
Les candidats ça compte. Quand un parti nomme de très mauvais candidats, surtout dans des états tangents, c'est pas une bonne idée
2) battre un sortant c'est dur
Pour l'heure, seuls 10 sortants en vue sur les postes fédéraux ou des états ont été battus : 1 seul gouverneur sortant (le démocrate au Nevada, de très peu) et seuls 9 représentants sortants (et encore, 2 d'entre eux sont battus par d'autres sortants qu'ils affrontaient pour cause de redécoupage décennal). A l'heure actuelle, tous les sénateurs sortants ont été réélus, on est toujours en attente du sort de Warnock en Géorgie (mais je ne me fais guère de soucis pour lui : si Cortez Masto a réussi l'exploit au Nevada, je serai surpris que lui rate le coche, réponse bientôt...).
3) les gouverneurs qui tentent des come back ça ne marche pas
Que ce soit sur les primaires (McCrory en Caroline du Nord, Greitens au Missouri...) ou sur les générales (Crist en Floride, McAulife en Virginie, Palin en Alaska...), tous les anciens gouverneurs qui ont tenté un retour (sur le poste de gouverneur ou de sénateur ou de représentant) ont échoué. J'espère pour Trump que les électeurs seront plus intéressés par un ancien président qui tente un retour ? Mais à sa place je n'y croirai pas trop (la question étant de savoir si il sera recalé sur les primaires ou la générale ?).