jordan a écrit:Le recul démocrate à la Chambre, et les autres reculs dans des scrutins locaux (trifecta républicains de-ci de là , très problématiques pour les démocrates au moment de redécouper les circonscriptions..) semblent très surprenants pour les lecteurs non-spécialistes que nous sommes.
Intuitivement, l'effet repoussoir du président sortant majoritaire dans le vote populaire, le handicap traditionnellement accolé à une majorité sortante, et surtout surtout la très forte hausse constatée de la participation, tout cela semblait devoir favoriser les candidats démocrates un peu partout.
Or on ne constate pas de poussée (même si on compare à une année 2018 qui avait été exceptionnellement bonne pour les démocrates).
J'avoue que j'ai hâte de lire sous la plume des meilleurs contributeurs de ce fil les premiers éléments d'explication (que l'on ne trouve nulle part dans la presse).
Là dessus, je pense qu'on peut s'avancer sur le terrain des suppositions, même sans avoir les résultats définitifs...
Petite précision quand même : il reste 2 run-offs à l'enjeu majeur début janvier. Si jamais les démocrates devaient l'emporter (je ne dis pas que je pense forcément que c'est ce qui va se passer :) ), le bilan au global des élections au Congrès deviendrait très différent. Mais, même avec un hypothétique 50/50 au Sénat (et donc bascule de la majorité grâce au vote de la VP Harris), on ne peut que constater en effet que les résultats démocrates au Congrès ont été nettement décevants par rapport aux objectifs et aux attentes, surtout si on les compare aux résultats de la présidentielle (qui, sommes toutes, sont pas si mauvais que ça au global, surtout quand on garde en mémoire que battre un président sortant reste une exception dans le système américain).
Je précise que ce sont là des hypothèses que je formule, et qu'elles ne s'excluent pas les unes les autres. Je vais faire ça en séparant le Sénat de la Chambre
Le SénatAux USA, le statut de sortant ça aide aussi au niveau des sénateurs. Cela peut paraître bizarre de dire ça, surtout quand on constate que 3 sénateurs sortants ont été battus cette année (Arizona, Colorado et Alabama), et 6 en 2018 (Arizona, Nevada, Missouri, Dakota du Nord, Indiana et Floride) :). Mais il y a un élément à constater tout de même : la plupart de ces sénateurs sortants battus étaient des élus à l'affiliation politique très contraire au penchant politique majoritaire de leur état d'élection. Certains d'entre eux devaient même carrément leur élection ou leur réélection à des alignements astraux improbables (c'était notamment le cas des sénateurs démocrates au Missouri et en Alabama).
Bref, au Sénat on constate que les états alignent de plus en plus leurs votes sénatoriaux avec leur penchant naturel, là où avant on pouvait avoir de vrais barons locaux qui arrivaient à être élus sur leur étiquette personnelle. Mais, si cette réalité tend à disparaître, elle se maintient tout de même, et il n'en reste pas moins que battre un sortant c'est toujours plus difficile que d'essayer de faire basculer un siège ouvert. Ainsi, les démocrates ont tout de même réussi à conserver les sièges du Montana et de la Virginie Occidentale en 2018, et, cette année, les républicains ont réussi à conserver le siège du Maine. Pour ce dernier, il faut d'ailleurs souligner l'exploit de Collins. Pour l'heure, sur les élections sénatoriales de 2016 et 2020 (celles concomitantes avec une présidentielle), on a eu 69 élections sénatoriales. Pour l'heure, Collins, sur ces 69 élections est la seule sénatrice à avoir réussi à être réélue alors que son état votait (et très nettement en plus) pour le candidat du parti opposé à la présidentielle. Dans tous les autres cas de figure, les états ont voté pour le même parti à la présidentielle et à la sénatoriale. J'insiste sur le pour l'heure, car on aura peut-être 2 autres exceptions avec la Géorgie si l'état élit 2 candidats républicains en janvier (mais ce sera un peu spécieux, puisque l'état ne votera techniquement plus en même temps que la présidentielle).
Du coup, Biden ayant échoué à faire basculer l'Iowa ou la Caroline du Nord, ces 2 états ont été conservés par les républicains (dans le cas de la Caroline du Nord, il est aussi possible que le petit souci du candidat démocrate avec des SMS à caractère sexuel ait joué son petit rôle :) ).
Et pour souligner qu'il est toujours difficile de battre un sortant, on peut cette année mettre en avant le Michigan, l'Iowa et le Montana. Dans ces 3 états, les partis tentant la bascule (GOP au Michigan et démocrates dans les 2 autres) avaient objectivement des candidats excellents, et, pour avoir suivi un débat entre les deux candidates sénatoriales en Iowa, je pense ne pas trop m'avancer en disant que la candidate démocrate avait très nettement dominé la sortante républicaine lors de ce débat. Dans ces 3 états là , si l'élection ne se tenait pas en même temps que la présidentielle (plus de mobilisation démocrate au Michigan et plus de mobilisation républicaine en Iowa et au Montana) et/ou si ces sièges avaient été ouverts (le sortant ne se représentant pas), je pense alors que la probabilité de voir ces sièges basculer aurait été nettement plus grande.
On notera aussi que les sénateurs sortants devant leur statut de sortant à une nomination plutôt qu'à l'élection ont plus de mal à faire valoir ce statut de sortant, c'est le cas de Loeffler dans la spéciale de Géorgie, et de McSally en Arizona. Il faut s"arrêter sur le cas de cette dernière, qui ce sera révélée une candidate assez mauvaise, devant en plus se présenter dans un état qui vire méchamment au pourpre (je pense que l'Arizona est désormais clairement dans la zone swing state), face à 2 excellents candidats démocrates. J'espère pour les républicains locaux, qu'ils ne commettront pas avec McSally la même erreur que les républicains du Nevada ont jadis commise en (re)nominant l’inénarrable Danny Tarkanian à quasiment toutes les primaires de presque tous les
échelons politiques possibles du Nevada pendant des années :).
Bref, concernant le Sénat, à partir du moment où Biden ne bascule pas la Caroline du Nord ou l'Iowa (ou le Montana, même si pour ce dernier cela me paraissait très peu probable), et que ces sièges étaient détenus par des sortants, voir les républicains conserver ces sièges là est loin d'être si étonnant que ça (pareil en sens inverse pour le Michigan). A mon sens, le seul vrai exploit étonnant de cette série c'est le Maine : Collins disposait visiblement d'une équation personnelle en béton armée. Dans cet état là d'ailleurs, il y a un élément à relever : les sondages sur la présidentielle ont été très bons, ceux sur la sénatoriale ont été catastrophiques.
La ChambreAlors là , c'est plus compliqué, il y a beaucoup plus de cas de figure différents que pour le Sénat, et je m'aventure nettement plus dans les suppositions...
1) Perte des bascules historiques de la vague bleue de 2018
Lors des midterms de 2018, on avait eu des bascules de districts rouges vif à la surprise générale. Voir les districts 01 de Caroline du Sud, 05 de l'Oklahoma ou 04 de l'Utah revenir aux mains du GOP à partir du moment où les démocrates ne bénéficient plus de la même vague bleue que 2018 n'est pas très surprenant non plus.
2) Le gerrymandering
On le répète souvent, mais les républicains ont pratiqué nettement plus massivement le gerrymandering (aussi bien au niveau fédéral que fédéré) que les démocrates. Cette
carte de FiveThirtyEught le résume très bien : 188 sièges sur les 435 de la Chambre sont issus d'un découpage favorable aux républicains, contre seulement 47 sièges issus d'un découpage favorable aux démocrates. Pour contrecarrer efficacement ce gerrymandering, les démocrates ont besoin d'une grosse avance dans le vote populaire à la Chambre. Ils seront devant cette année, mais avec nettement moins d'avance qu'il y a 2 ans (environ 3 ou 4 points d'avance cette année, contre 8.5 points il y a 2 ans). Forcément, cela se paye cash.
3) Peu de gains pour les démocrates
C'est clairement là où les démocrates n'ont pas obtenu ce qu'ils espéraient. Ils visaient beaucoup de sièges péri-urbains dans lesquels ils avaient progressé ces dernières années (notamment au Texas, à New-york, en Floride, en Géorgie). Et de ce côté là , la moisson a été très maigre (un siège en Géorgie et c'est tout :) ).
Et là , je vais m'avancer un peu plus sur les hypothèses :
- les électeurs démocrates sont parfois moins "disciplinés" que les électeurs républicains. On constate plus fréquemment sur les bulletins démocrates que sur les bulletins républicains optant pour les candidats à la présidentielle que certains électeurs ne votent que sur les premières lignes des bulletins à rallonge, et ne vont pas tous jusqu'au bout (et zappent donc de voter pour les échelons plus bas sur la liste).
Et, d'une manière générale, les électeurs républicains s'intéressent souvent plus aux échelons intermédiaires que les électeurs démocrates (qui se focalisent nettement plus sur la présidentielle, c'est pour ça qu'on constate souvent de meilleurs taux de participation des démocrates sur les années présidentielles, mais c'est peut-être là un schéma qui changerait un peu si on voit vraiment émerger de nouvelles coalitions électorales ?).
-certains électeurs ont voté contre Trump plus que pour Biden. Parmi ceux là on avait des nouveaux votants qui ne se sont déplacés que pour la présidentielle, et n'ont pas voté pour les autres échelons. Mais on a eu aussi des électeurs républicains ou des indépendants républicains qui ont franchi le Rubicon sur la présidentielle, mais pas sur les élections au Congrès.
-certains élus démocrates mettent en avant que la caricature républicaine à leur endroit (des communistes voulant supprimer les financements de la police, des écolos béats voulant détruire les industries, des pédophiles adorant le diable les nuits de pleine lune) aurait fonctionné et aurait pu leur coûter cher dans certains districts modérés. Ces élus démocrates là reprochent aussi aux représentants démocrates issus de l'aile libérale (et élus dans des districts bleu horizon) de ne pas leur faciliter la tâche en mettant trop ostensiblement en avant un agenda libéral (notamment une couverture santé universelle sur un modèle européen).
Je pense que c'est là un panorama assez complet des explications possibles aux contre performances constatées des démocrates sur les élections au Congrès.
Ceci dit, tout n'est pas noir non plus : certaines bascules de 2018 (ou antérieures) se sont confirmées (Arizona, Colorado, Nevada, New-Jersey, Virginie, Pennsylvanie...). Surtout tant qu'on ne connait pas les résultats en Géorgie c'est difficile d'évaluer le bilan global.