Fin d'un long psychodrame sénatorial, avec à la clef une défaite pour les démocrates.
Depuis la présidentielle de 2020, les républicains font voter dans tout un tas d'états des lois extrêmement restrictives concernant les pratiques électorales (on a un large éventail, dont la principale recherche est de limiter au maximum la participation, notamment des minorités, le tout sous couvert de "sécuriser" les pratiques de votes, si certains éléments des lois votés peuvent rentrer dans ce cadre, il est difficile de ne pas voir que tout un tas d'autres éléments consistent essentiellement à limiter le droit de vote), y compris de nouveaux cadres pour le dépouillement et la promulgation des résultats (les républicains ont bien compris que qui comptent et valident les voix c'est au moins aussi important que qui est candidat :) ). Dernier élément en date : le gouverneur de Floride Ron DeSantis (qui entend bien être le candidat du GOP pour la présidentielle 2024) envisage carrément de créer une "police électorale" chargée de surveiller les opérations de votes. On ne sait pas si son projet de loi prévoit que ces nouveaux représentants de l'état auront droit à de jolies chemises noires dans le cadre de leur "surveillance" ?
https://www.washingtonpost.com/nation/2 ... elections/En conséquence, depuis des mois les démocrates tentent de faire voter par le Congrès une nouvelle loi permettant au Congrès d'imposer au niveau national des standards électoraux (comme la constitution le lui permet). De ces longs mois de tractations démocrates est sortie une loi qui imposerait à tous les états les éléments suivants :
1) l'interdiction du gerrymandering bipartisan
2) une limite au contrôle des autorités des états sur les officiels en charge des scrutins
3) l'obligation de garder des traces écrites des votes (les machines 100% électroniques ne délivrant pas de bulletins physiques seraient interdites)
4) l'inscription électorale le jour de vote serait possible
5) tous les électeurs jouissant de leurs droits civiques seraient automatiquement inscrits lors de l'obtention ou du renouvellement de leur permis de conduire par les autorités de leur état de résidence
6) le vote postal serait possible partout
7) les bulletins postés le jour du vote (et marqués par la poste à cette date) auraient jusqu'à 7 jours d'acheminement potentiels pour être comptabilisés)
8) une liste des papiers officiels reconnus comme prouvant de l'identité du votant serait établie au niveau national (la liste proposée par les démocrates est longue, et inclue aussi bien la carte étudiant que le permis de port d'armes)
9) les condamnés à de la prison récupérerait leurs droits civiques dès leur libération
10) aucune poursuite ne pourrait être intentée contre une personne donnant de l'eau ou de la nourriture à des personnes faisant la queue devant un bureau de vote (plusieurs lois votées par les républicains dans certains états criminalisant cette pratique)
11) le jour du vote en année de midterms et en année de présidentielle deviendrait un jour férié
12) chaque état devrait proposer au moins 15 jours de votes anticipés avant l'élection (les bureaux de vote devant être ouverts aux mêmes heures que pour le jour J)
Précisons que ce texte est déjà le fruit d'un débat interne aux caucus démocrates du Congrès (la loi prévoyant l'envoi automatique d'un bulletin postal à tous les électeurs inscrits a ainsi été abandonnée, de même que l'obligation faite aux états d'adopter des commissions indépendantes pour les découpages électoraux, ou bien encore l'obligation aux candidats à la présidence de publier leurs déclarations fiscales).
Depuis des mois Manchin (sénateur démocrate de Virginie Occidentale) prétendait pouvoir obtenir les voix de 10 sénateurs républicains pour contourner un éventuel
filibuster. Il a fait chou blanc, Schumer (chef de la majorité démocrate au Sénat) a tout de même proposé le texte au Sénat (après qu'il eut été ratifié par la Chambre), en sachant qu'il échouerait, puisque 60 sénateurs ne le soutiennent pas. Et, derrière, il a proposé un changement du règlement du Sénat : le retour du
talking filibuster pour le vote des lois concernant le code électoral (pour résumer, le vote des lois régissant le code électoral en reviendrait à la pratique d'avant les années 1970 : pour que le
filibuster soit valide, il faudrait que les 41 sénateurs qui s'opposent à la loi occupent physiquement l'estrade avec des discours pour un temps indéfini, une fois que chaque sénateur s'opposant à la loi ayant terminé son temps de parole, la loi serait soumise à un vote à la majorité simple).
Le changement de règlement se fait à la majorité simple, mais, là aussi sans surprise puisqu'il l'avait annoncé, Manchin et Synema (sénatrice démocrate d'Arizona) ont voté contre, enterrant de facto la réforme électorale.
https://edition.cnn.com/2022/01/19/poli ... index.htmlLes 2 sénateurs démocrates arguant que si les démocrates limitent le filibuster, les républicains s’engouffreront dans la brèche dès qu'ils seront majoritaires pour le rogner à leur tour. Ce vote a des conséquences fort différentes pour ces 2 sénateurs :
1) pour Manchin, outre qu'il est raccord avec ses positions de toujours sur le sujet (même si sa défense de l'esprit bipartisan parait toujours un peu daté, cet esprit n'existant plus depuis longtemps), il ne prend pas beaucoup de risques concernant ses positions en interne du parti démocrate. La Virginie Occidentale est un état très rouge, où il est désormais le seul élu démocrate en vue de l'état. Même si la gauche du parti continuera à lui envoyer un candidat lors de ses futures primaires (en 2024), il est trop populaire et trop bien implanté dans son état (où la majorité des démocrates sont sur sa ligne centriste). Il ne craint donc pas de perdre l'investiture. Pour la générale, c'est peut-être un poil plus risqué sur le papier. En 2018, Manchin n'a eu finalement que 19 000 voix d'avance sur son challenger républicain. Là , on peut se dire que si les électeurs les plus libéraux de l'état décident de "punir" Manchin en 2024, il pourrait perdre des voix et donc l'élection. Mais ce vote lui permet aussi de cultiver son image de démocrate centriste et modéré, qui peut aussi attirer des voix indépendantes voire républicaines. Bref, pour Manchin, son vote a tout de même un sens.
Certains éditorialistes pensent aussi que Manchin pourrait préparer un changement de parti pour aller vers le GOP. Là je peux me tromper, mais je n'y crois pas une seconde. Cela fait 30 ans qu'on nous annonce que Manchin va changer de parti et il ne l'a jamais fait. Il a beau être centriste, sur plusieurs éléments il n'est pas du tout républicain-compatibe : il est farouchement pro syndicats, il est pour la couverture santé, il est pour Medicare et Medicaid, il est favorable à la hausse des impôts des plus riches, et il pense que Trump a perdu l'élection de 2020 :). Surtout, comme je l'ai dit, du côté démocrates il est certain de conserver l'investiture. Si il devenait républicain, rien ne lui garantirait d'obtenir l'investiture du GOP en 2024 : tout un tas d'élus républicains de l'état se feraient une joie de le concurrencer en le dépeignant comme un traître et un RINO, et je pense qu'une majorité des sympathisants républicains voteraient pour un républicain pur jus plutôt que pour un converti iconoclaste.
2) pour Synema en revanche, je suis plus perplexe (et je ne suis pas le seul : les éditorialistes et le parti démocrate d'Arizona semblent avoir du mal à comprendre). Cette dernière était supposée être très libérale lors de son élection de 2018, et son état d'élection ne ressemble pas du tout à la Virginie Occidentale : pléthore d'élus démocrates arizoniens vont pouvoir lui contester la réinvestiture en 2024 en l'attaquant sur sa gauche. Et même sur une éventuelle générale, si elle devait garder l'investiture démocrate (ce dont je doute désormais) je ne suis pas persuadé qu'elle aurait un gain électoral évident avec son vote. Bref, comme beaucoup, je m'interroge ? Soit elle a décidé d'opter pour l'image de la sénatrice maverick (un peu comme McCain en son temps, élu du même état), soit elle ne compte pas se représenter en 2024 et espère obtenir un poste de consultante chez Fox ? De plus, contrairement à Manchin, les lois restrictives sur les élections peuvent réellement lui poser des problèmes dans un état comme l'Arizona (en Virginie Occidentale, peu d'électeurs issus des minorités vont perdre leur droit de vote, ce sera sans doute plus marqué en Arizona).
Pour les démocrates, ce vote a tout de même un avantage : les 50 sénateurs du caucus sont tout de même favorables à la loi proposée, et 48 sont favorables à une réforme du filibuster (au démarrage des tracations, c'était pas gagné). Surtout, Manchin et Sinema ont désormais des choses à se faire pardonner, et donc, paradoxalement, cet échec sur la réforme électorale augmente peut-être les chances de voir le Sénat voter une version (plus light que la Chambre néanmoins, mais ça on le savait déjà ) de la loi
Build Back Better dans les semaines ou mois à venir ?
https://thehill.com/homenews/house/5903 ... wn-in-sizeTout cela a aussi une autre conséquence : depuis quelques jours, Biden a clairement changé de tons et de méthodes. Il opte désormais pour des discours nettement plus partisans et n'hésite plus à attaquer frontalement les élus républicains. Il semble enterrer définitivement toute idée de lois bipartisanes.
https://www.politico.com/news/2022/01/1 ... ome-527414