Je crois qu'on peut affirmer sans exagérer qu'on est en train de voir le paysage politique américain s'effondrer sous nos yeux...
Chaque nouveau rebondissement nous fait creuser un petit peu plus dans les tréfonds d'un paysage kafkaïen. C'est à la fois fascinant et terrifiant.
Mardi, George Kent, le secrétaire adjoint du secrétaire d'état Mike Pompeo, en charge du dossier ukrainien au secrétariat d'état (enfin, ça c'était ce qu'on pensait de sa fonction avant son témoignage...), est venu témoigner devant la commission d'enquête de la Chambre concernant le dossier ukrainien. Il a dit que Mick Mulvaney lui aurait annoncé que le dossier ukrainien serait retiré des réseaux traditionnels du secrétariat d'état, et que tout ce qui concernait les relations entre les USA et l'Ukraine passerait désormais entre les mains de 3 personnes : le secrétaire à l'énergie Rick Perry (qui vient tout juste d'annoncer qu'il comptait anticiper sa démission suite aux dernières révélations...), l'ambassadeur américain auprès de l'Union Européenne, Gordon Sondland, et l'envoyé spécial de l'administration Trump en Ukraine, Kurt Volker (lequel a déjà témoigné devant le comité en livrant des SMS très compromettants).
Kent prétend avoir alerté sa hiérarchie sur ces activités diplomatiques en dehors des réseaux habituels, surtout qu'il confirme avoir eu vent du fameux "dossier" fourni par Giuliani pour inciter les Ukrainiens à enquêter sur les Biden (dossier que Kent qualifie de "faux"
phony), et qu'il aurait alerté sur le danger de voir l'avocat personnel du président s'impliquer ainsi dans la diplomatie américaine en Ukraine. Face à ses craintes, les consignes qui lui auraient été transmises par sa hiérarchie auraient été de "rester discret" (
lay low) sur le dossier ukrainien, et de tout transmettre au trio indiqué précédemment.
https://edition.cnn.com/2019/10/15/poli ... index.htmlGiuliani et Mike Pence ont confirmé par la suite qu'ils refusaient de coopérer avec la Chambre, qu'ils ne s'y rendraient pas pour témoigner, et qu'ils refusaient de donner les documents exigés par la Chambre.
https://www.washingtonpost.com/gdpr-con ... ry.html%3fAlors que les démocrates semblent de plus en plus vouloir convoquer John Bolton pour avoir sa vision du dossier ukrainien (puisque les témoignages de Hill et Kent le dépeignent comme partageant leurs inquiétudes à l'époque sur cette diplomatie parallèle en Ukraine).
https://thehill.com/homenews/house/4659 ... al-witnessHier c'était au tour de Michael McKinley, conseiller spécial du secrétaire d'état démissionnaire (depuis une semaine) de témoigner. Il confirme aussi avoir été témoin de cette diplomatie parallèle orchestrée par Giuliani, et dit avoir démissionné car il désapprouvait la manière dont le secrétariat d'état malmenait depuis un moment désormais des diplomates de carrière de valeur et qui s'opposaient à cette diplomatie de l'ombre visant à défendre un agenda partisan au service des buts politiciens du président. Je le cite "Depuis que j'ai commencé ma carrière en 1982, j'ai servi mon pays et chaque président avec loyauté. Cependant, dans les circonstances actuelles, je ne pouvais plus détourner le regard car nos collègues se voient refuser le soutien professionnel et le respect qu'ils méritent de notre part à tous."
https://www.politico.com/news/2019/10/1 ... tch-048443Puis ce fut au tour de Sondland de témoigner aujourd'hui. Il confirme qu'on lui a bien demandé d'introduire Giuliani auprès du gouvernement ukrainien, faisant de ce dernier le chef d'orchestre de la diplomatie américaine en Ukraine. Il prétend n'avoir découvert que récemment que Giuliani avait une investigation contre les Biden à son agenda ukrainien. Surtout, Sondland confirme que toute coopération future entre Kiev et Washington était bien conditionnée par le fait que les autorités ukrainiennes devaient d'abord s'entretenir avec Giuliani.
https://www.nytimes.com/2019/10/17/us/p ... imony.htmlEt le dernier rebondissement en date est tout bonnement surréaliste : lors d'une conférence de presse livrée aujourd'hui par le directeur de cabinet de la Maison Blanche (équivalent de notre premier ministre), Mick Mulvaney, ce dernier a reconnu qu'il y a bien eu pression et quid pro quo de la part du gouvernement US pour obtenir la coopération du gouvernement ukrainien sur une enquête contre les Biden (avec un aveu désarmant comme quoi tout cela est normal et classique et qu'il faut faire avec...).
https://edition.cnn.com/2019/10/17/poli ... index.htmlDerrière, gros vent de panique chez les républicains, et grosse colère de Trump et des services juridiques de la Maison Blanche qui apparemment n'étaient pas au courant de ce que Mulvaney allait dire (la question se pose : est ce que les membres de cette administration se parlent entre eux ou même pas ?). Depuis ce dernier rétropédale en essayant maladroitement de dire que ces propos ont été mal compris, ou mal formulés.
https://edition.cnn.com/2019/10/17/poli ... index.htmlhttps://edition.cnn.com/2019/10/17/poli ... index.htmlJe serai Trump je virerai très rapidement Giuliani (pour ce dernier une inculpation pour infraction au Logan Act devient de plus en plus inévitable je pense) et Mulvaney, pour leur incompétence et leur propension à reconnaître que le président enfreint la loi mais que ce n'est pas grave. Même si on a furieusement l'impression qu'ils ne font que ce que le président attend d'eux (ou ce qu'ils croient que ce président attend d'eux ? parce qu'on en vient à se demander si Trump contrôle quoi que ce soit dans tout ce chaos...). Trump qui continue sur sa lancée : une rencontre prévue à la Maison Blanche et les chefs du caucus démocrate et consacrée à la crise en Syrie a tourné court. Trump aurait insulté Pelosi de "politicienne de troisième zone" (ou de "politicienne de maternelle", les versions divergent), la délégation démocrate a donc quitté les lieux en déclarant que Trump "s'effondrait". D'autant que l'administration Trump vient d'annoncer que le prochain sommet du G7 aux USA serait bien organisé dans le complexe hôtelier du président en Floride. Beaucoup émettent des critiques quant au conflit d'intérêt et à l'infraction concernant la clause dite des émoluments.
https://www.bfmtv.com/international/le- ... 89317.htmlEt du côté du volet syrien, on est dans un ballet tout aussi kafkaïen (mais hélas bien plus grave au niveau des conséquences humaines et diplomatiques) : Trump, après avoir menacé la Turquie de sanctions économiques (pour avoir enclenché une offensive qui n'aurait jamais eu lieu sans le choix du président de retirer les troupes américaines de Syrie), a envoyé Pence en Turquie pour négocier un arrêt de l'offensive turque. Tout en continuant à défendre l'attaque contre les Kurdes, qui, d'après Trump, ne sont pas des saints, voire seraient pire que Daesh. Ne cherchez pas une logique dans tout ça, il n'y en a pas. Soit Erdogan a complètement baladé Trump en lui faisant croire qu'un retrait US ne lui permettrait pas d'attaquer les Kurdes, soit Trump l'avait bien compris mais avait sous estimé les conséquences et essaye depuis le grand écart (punir les Turcs tout en blâmant les Kurdes ?). Ce soir Pence crie victoire en disant avoir obtenu un cessez le feu, Erdogan parle lui d'une simple pause dans l'offensive. En même temps, Erdogan a sans doute déjà largement obtenu ce qu'il souhaitait, et clairement, sur ce coup là , les Américains semblent les dindons de la farce. En tout cas Mitt Romney n'y va pas de main morte pour dénoncer ce qu'il qualifie de fiasco diplomatique, militaire et humanitaire pour la politique américaine dans la région.
https://edition.cnn.com/2019/10/17/poli ... index.htmlhttps://edition.cnn.com/videos/politics ... -politics/https://www.theguardian.com/us-news/201 ... eave-syria