Petite question : y a-t-il des contributeurs du forum qui croient encore à la solution à deux Etats ? Personnellement, ce n'est plus mon cas depuis un certain temps. L'interview que l'historien Ze'ev Sternhell a donné à Mediapart ne donne pas beaucoup d'espoirs. Entre autres parce que la solution à deux Etats est liée à celle de la colonisation de la Cisjordanie, qui est le principal, sinon unique, obstacle à un Etat palestinien. Voici ce que dit Sternhell sur Naftali Bennett et son parti, Le Foyer Juif, qui défendent les intérêts des colons :
Même Naftali Bennett, qui semble convoiter le poste de premier ministre, n’a pas intérêt à de nouvelles élections ?
Oui, même lui. Car il tient notamment le ministère de l’Éducation nationale et celui de la justice. Et dans ces deux départements, son parti, Le Foyer juif, fait des choses effarantes que personne n’avait jamais osé faire. Et il tient à continuer. Mais il n’a pas peur de nouvelles élections. Car il pense pouvoir attirer à lui l’aile extrémiste du Likoud et mettre sur pied un parti qui soit à la fois religieux, laïc et d’un nationalisme viscéral. Un parti qui annonce la couleur sans aucun problème en n’hésitant pas à dire : nous ne quitterons jamais la Cisjordanie et en affirmant même clairement sa volonté d’annexer la Cisjordanie.
Pour eux, il est hors de question de penser à l’égalité des droits avec les Palestiniens de Cisjordanie et de créer cet État binational dont le parti travailliste brandit le projet devant la population. Bennett ne veut pas de Palestiniens en Israël, il ne veut pas de Palestiniens jouissant de l’égalité de droits. Certains de ses députés comme Bezalel Smotrich, vice-président de la Knesset, s’adressent même aux Palestiniens en des termes qui ne sont pas très différents de ce que les nazis disaient des juifs. Ce parti-là ne craint pas les élections.
La politique de colonisation intensive de Netanyahou répond-elle à un choix politicien, destiné à lui conserver l’électorat des colons, que Bennett lui dispute, ou à une stratégie idéologique puisée au sein de sa famille et dans l’histoire de son parti ?
Les deux. Il y a la dimension idéologique, qui lui est propre parce qu’il est issu d’un milieu nationaliste**, qui considère la colonisation de la terre d’Israël comme un devoir. Il a été élevé dans cette idéologie. D’autres, comme Dan Meridor, par exemple, qui appartiennent à la même génération, sont nés dans les mêmes quartiers, ont fréquenté les mêmes écoles, ont évolué vers le centre. Netanyahou non. Il vient de ce milieu conservateur, nationaliste, et il s’est radicalisé. C’est là qu’interviennent les raisons politiques. Disons qu’il y a une infrastructure idéologique et des raisons politiques superposées. Et qu’il n’y a aucune contradiction entre les deux.
Et cette infrastructure idéologique repose essentiellement sur la légitimité de la colonisation ?
Je dirais qu’à droite, personne ne s’oppose à la colonisation pour quelque raison que ce soit, idéologique ou non. Tout le monde y est, par principe, favorable. Ceux qui s’y opposent appartiennent au centre ou au centre gauche, mais ils n’osent pas dire qu’il faudra, un jour, pour trouver une solution avec les Palestiniens, faire machine arrière. Ils pensent qu’il faudra arrêter la colonisation là où elle en est, mais pas évacuer les colonies. Évacuer les colons de là où ils sont, c’est aujourd’hui quasiment impensable. Le nouveau chef du Parti travailliste, Avi Gabbay, a déclaré qu’il était pour la solution à deux États, mais contre l’évacuation des colonies. Ce qu’il faut savoir pour mesurer le caractère explosif de la situation, c’est que les colons sont prêts à jouer de leur poids politique, désormais décisif, pour rester où ils sont, mais aussi et surtout qu’ils sont prêts à s’opposer par la force à une décision d’évacuation. Nous n’assisterons plus à des évacuations par la force, comme ce fut le cas du temps de Sharon, à Gaza. Dites-vous bien que ces opérations-là , c’est fini. Les colons estiment qu’ils ont fait à cette époque une erreur et se sont juré qu’ils ne la feront jamais plus. Pour évacuer une colonie, désormais, il faudra se battre. Et entre une guerre civile et la guerre aux Palestiniens, pour le gouvernement, le choix est fait.
Et ce que Sternhell dit de l'opinion publique israélienne n'est pas plus rassurant :
Netanyahou et son gouvernement expriment-ils, comme les résultats électoraux semblent le montrer, les souhaits de la majorité de l’opinion publique israélienne ?
Les Israéliens veulent vivre bien. Ils veulent vivre en paix. Aussi longtemps que ce sera possible, ils seront indifférents au sort des Palestiniens. Même les habitants de la périphérie, des villes de développement, qui vivent beaucoup plus difficilement, acceptent la politique de Netanyahou. Ils ont une telle horreur de la gauche qu’ils continueront à voter pour la droite, même si elle en grande partie responsable de leurs difficultés. Et cela, quoi qu’il arrive. La périphérie vote contre ses intérêts économiques. Elle vote au nom de la solidarité nationaliste. Netanyahou est donc tranquille de ce côté-là . Quant aux 30 % de la société israélienne qui voteront toujours contre lui, il les considère comme perdus et s’en désintéresse.
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Comment expliquez vous que l’opinion publique israélienne, qui avait en majorité approuvé la signature des Accord d’Oslo, il y a près de 25 ans, soit aujourd’hui globalement hostile à la création d’un État palestinien ?
Oslo a donné l’impression de voir enfin la lumière au bout du tunnel, c’est vrai. Mais c’était un mauvais accord. D’abord parce qu’il a été signé sans qu’il soit décidé de toucher à une seule colonie. Il aurait fallu évacuer tout de suite Gaza et un certain nombre de colonies de Cisjordanie. Ensuite parce qu’on a remis à plus tard tout ce qui était important : les négociations sur les colonies, les frontières, les réfugiés, Jérusalem, les arrangements de sécurité. Mais le basculement réel de l’opinion publique a eu lieu en 2000, avec l’échec des négociations de Camp David – négociations dont Clinton et les Palestiniens ne voulaient pas, car ils les jugeaient prématurées et mal préparées. Jusque-là , malgré l’assassinat de Rabin, malgré les attentats islamistes meurtriers des années 1990, le sentiment persistait qu’il était encore possible d’avancer. Quand Barak a dit, alors que l’échec de Camp David devenait évident, qu’il avait découvert le vrai visage d’Arafat et qu’il n’y avait pas de partenaire palestinien, les Israéliens ont, globalement, cessé de croire que la paix était possible.
Était-ce la véritable raison ? Au même moment, les Palestiniens et certains experts américains qui avaient suivi les négociations ont dit que l’échec était imputable à Barak, qui avait manqué de courage politique…
Je crois que Barak comme Arafat ont eu le sentiment qu’il n’y avait pas grand-chose à tirer du camp d’en face. Arafat a vu que la colonisation se poursuivait, et elle se poursuivait de façon spectaculaire sous Barak. Et Barak, qui avait perdu sa majorité et qui avait peut-être compris qu’il allait perdre les élections, a vu qu’il n’obtiendrait pas d’Arafat ce qu’il attendait pour rester au pouvoir. Le résultat du mauvais accord d’Oslo, de l’assassinat de Rabin, du terrorisme islamiste et de l’échec de Camp David, c’est ce que nous avons sous les yeux aujourd’hui. À mon sens, la majorité de la société israélienne ne veut ni d’un État colonial, ni d’un État binational, ni d’un État d’apartheid. Elle accepte les deux États, mais elle n’est pas disposée à en payer le prix. Pour convaincre les Israéliens que le prix à payer n’est pas trop lourd au regard de l’enjeu pour nos petits-enfants, il faut un dirigeant qui ait de l’étoffe. Et aucun de nos responsables d’aujourd’hui n’a l’étoffe nécessaire.
En d’autres termes, tant que durera ce faux statu quo sécuritaire dont l’armée israélienne punit les accrocs à coups d’obus, de missiles et de dynamitage de maisons palestiniennes, statu quo à l’abri duquel les Israéliens peuvent vivre à leur guise, la population israélienne sera satisfaite…
Comme le répète sans cesse Netanyahou, la population israélienne vit bien. Elle consomme, elle voyage. Elle n’a pas à affronter l’antisémitisme qui réapparait partout en Europe. Elle ne veut pas voir, elle ne veut pas savoir ce qui se passe dans la zone grise que constitue désormais, à sa porte, la Cisjordanie. C’est pourquoi elle est aussi violemment hostile à l’organisation de défense des droits humains B’Tselem, qui distribue des cameras aux Palestiniens pour témoigner sur les violences dont ils sont victimes, ou à l’ONG Briseurs de silences, qui réunit des soldats résolus à révéler les abus de l’armée dans les Territoires occupés palestiniens. Les Israéliens ne veulent pas qu’on les empêche de dormir. Et cela empêche de dormir de savoir ce qui se passe en Cisjordanie.
Source
**Ici, Ze'ev Sternhell fait référence au fait que le père de Netanyahu a été un secrétaire de Vladimir Ze'ev Jabotinsky, l'idéologue du sionisme de droite.