Retour sur les derniers mois (mouvementés) de la vie politique US :
1) la commission d'enquête parlementaire sur l'assaut contre le Capitole du 06/01
J'ai suivi ça comme un junkie de la politique, du grand art, aussi bien sur le fond que la forme, on dirait presque que c'est une saison de
The West Wing ou de
House of Cards. Par contre, quand on se rappelle que tout est vrai et que ce n'est pas de la fiction, c'est terrifiant. A mon sens, plus des confirmations que d'immenses surprises (quelques unes néanmoins, j'y reviendrais...), mais tout de même, y a du lourd. Déjà , on ne peut que constater l'immense erreur commise par McCarthy (chef de la minorité républicaine à la Chambre, aspirant Speaker si le GOP devait récupérer la majorité à la Chambre en novembre) lors de la création de cette commission, avec son choix de proposer d'ardents trumpistes qui auraient joué l'obstruction. Pelosi ayant refusé il a préféré laissé le choix de tous les membres à la Speaker démocrate, qui a donc retenu les 2 seuls républicains prêts à reconnaitre éventuellement les crimes de Trump (Cheney et Kinzinger) en plus des membres démocrates. Résultat des courses, la commission n'a en son sein que des membres qui jouent réellement le jeu de l'enquête, et ça se voit.
Et comme dans le même temps les membres de la commission ont mis un point d'honneur à ne quasiment faire défiler que des témoins à charge eux mêmes républicains, l'effet est assez terrible, d'autant que sur la forme, la commission a aussi recours à des réalisateurs de documentaires efficaces qui ont livré des montages de l'assaut et de l'implication de certaines personnes dans tout ça assez implacables.
Sur le fond, c'est une confirmation de tout ce que l'on supposait déjà fortement, mais à une échelle encore plus grande et planifiée. En vrac :
* après l'élection du 03 novembre, la Maison Blanche de Trump s'est organisée en 2 clans antagonistes et se livrant de plus en plus une guerre ouverte à l'approche du 06/01. D'un côté les adeptes intransigeants de la "fraude électorale", et les autres, qui en s'appuyant sur les faits et le droit contredisent les premiers.
Trump et son premier cercle (essentiellement quelques avocats sans scrupule et quelques élus républicains ou membres de son administration) ont sciemment rejeté toutes les preuves qu'on leur apportait indiquant sans l'ombre d'un doute que l'élection du 03 novembre était intègre, et se sont lancés dans un processus visant à faire annuler les résultats réels, pour les remplacer par de faux. Pressions sur tout un tas d'officiels et de responsables dans les états pour faire annuler les résultats (et tenter de refiler le "choix" aux assemblées locales aux mains des républicains), mais aussi création de fausses listes de grands électeurs dans plusieurs états (au moins Wisconsin, Géorgie, Pennsylvanie et Arizona, peut-être aussi Michigan) afin de remplacer les listes officielles. De ce côté là , la commission a fait défiler un nombre effarant de témoins, dont certains ont des enregistrements et des papiers pour prouver le tout. L'ampleur de la tentative de fraude sur les résultats électoraux est assez incroyable. Ce que la commission a révélé en revanche (car encore une fois, tout cela est plus une confirmation qu'autre chose) c'est comment en interne les réunions acrimonieuses entre les membres de l'administration se succédaient entre ceux qui soutenaient Trump dans cette démarche et ceux qui soulignaient l'illégalité et le danger de cette démarche. On notera que Ivanka Trump et son mari, Jared Kushner, ont eux aussi tenté d'alerter Trump sur la dérive en question. Sans succès.
* au cours de la période allant du 03/11 au 06/01, un fossé immense s'est creusé entre Trump et son VP Pence. Ce dernier (après avoir demandé aux services juridiques de la Maison Blanche de clarifier son rôle lors de la validation des résultats du 06/01) refusant d'accepter le "plan" de Trump, à savoir rejeter les listes de grands électeurs légales, afin de les remplacer par les fausses. A priori, Trump s'est réellement mis à développer une obsession sur la "trahison" de son VP.
* le jour J, le premier cercle trumpiste (Trump, Junior et Giuliani, essentiellement) a sciemment excité la foule en lui désignant 2 coupables : le VP Pence et les parlementaires qui voteraient la validation des résultats officiels. On connait la suite... Mais tout de même quelques surprises ou confirmations de ce côté là : à priori ça s'est joué à très peu que le VP et son service de sécurité de tombent entre les mains des insurgés (quelques mètres et quelques secondes), Pence ayant bien été exfiltré et non amené dans le Bunker du Capitole, contrairement à Pelosi (il existait encore un doute sur cet aspect là ). Et là où les travaux de la Commission ont été le plus accablant c'est sur les (in)actions de Trump sur les 3 heures de saccage du Capitole. Alors que le standard de la Maison Blanche explosait sous les appels de parlementaires républicains et que plusieurs personnes sont venues en personne implorer Trump d'intervenir (son chief of staff et sa fille notamment) pour demander à ses adeptes de quitter le bâtiment, Trump a obstinément refuser de désavouer les assaillants, allant même jusqu'à tweeter son amour et sa compréhension pour eux. Il a également refusé de faire intervenir la garde nationale, et c'est bien Pence qui a court-circuité le Président pour prendre en main la gestion policière du chaos. On a aussi appris que Trump aurait demandé aux services secrets de l'emmener lui même au Capitole pour galvaniser ses troupes. Ce volet là a d'ailleurs ouvert une affaire dans l'affaire, puisque le Comité a tenté d'avoir plus d'informations de la part des services secrets, et ils ont découvert que ces derniers ont supprimé (ils invoquent l'erreur et l'incompétence plutôt que la tentative de faire disparaitre des preuves, de nouvelles investigations sont sans doute probables à ce niveau là ) les SMS et certains échanges de la journée. Barbouzerie ou incompétence ? Je ne sais pas...
La commission est en pause pour les vacances et reprendra ses auditions publiques dans quelques semaines. Son rapport final est attendu pour septembre. J'ai de plus en plus de mal à voir comment Trump (et son premier cercle mouillé dans la création des fausses listes de grands électeurs) pourrait échapper à des poursuites. Au niveau des états c'est quasi certain (le dossier le plus avancé semble être en Géorgie, dossier dans lequel Lindsey Graham, le sénateur républicain de Caroline du Sud pourrait aussi être mouillé). Au niveau du fédéral, le choix ultime reviendra sans doute à l'AG Merrick Garland. Mais honnêtement, vus les éléments déjà accumulés par la commission d'enquête, je vois mal comment Trump pourrait y couper, même si il déclarait une nouvelle candidature pour 2024 en comptant alors sur les scrupules de Garland ?
On notera que suite à ces auditions publiques, deux journaux conservateurs (le Wall Street journal et le New-York Post ayant appelé à voter pour Trump (en 2016 et 2020) et appartenant au groupe Murdoch (le propriétaire de Fox news donc) ont publiquement désavoué l'ancien Président, estimant qu'il était désormais inapte à exercer la fonction au vu de son rôle dans l'assaut du 06/01. Et certains milieux conservateurs semblent enclencher la petite musique selon laquelle DeSantis serait un bien meilleur candidat que Trump. On notera aussi que le GOP, qui pour l'heure paye les factures d'avocat de Trump en tant qu'ancien Président, lui a "gentiment" rappelé que si il redevenait candidat, cet arrangement ne tenait plus. Ambiance, ambiance... Trump qui d'ailleurs risque aussi des poursuites puisqu'il utilise (illégalement) le sceau de la Présidence dans ses hôtels et parcours de golfe (ça parait insignifiant par rapport à l'assaut du 06/01, mais c'est toujours révélateur...).
Honnêtement je ne sais pas si Trump compte ou non se présenter aux primaires de 2024. Ce que je pense en revanche, c'est que des poursuites judiciaires risquées à son encontre sont plus que probables, et que si il continue sans doute à être adoré par beaucoup de ses adeptes, il est devenu de plus en plus inéligible aux yeux d'un paquet d'électorats tangents. Si il peut peut-être toujours remporter les primaires républicaines (mais avec à mon avis nettement plus d'oppositions internes que 2016 et 2020), il a à mon avis sérieusement perdu toute possibilité de pouvoir emporter une générale. Son implication désormais bien établie dans l'assaut du 06/01 le rendant encore plus clivant. Ce n'est que mon avis bien sur.
En tout cas, on a eu un sondage absolument terrifiant qui caractérise bien l'assaut du 06/01 et ses retombées : 50% des adultes interrogés estiment qu'une guerre civile aux USA est probable dans les années à venir, 40% estiment qu'avoir un leader fort est plus important que d'avoir la démocratie, 20% pensent que la violence est parfois justifiée pour obtenir un objectif politique, 12% indiquent qu'ils seraient prêts à se livrer eux-mêmes à des violences politiques, 7% déclarent qu'il est possible de tuer une personne pour défendre un objectif politique majeur, et 4% déclarent qu'ils seraient prêts à tuer quelqu'un par arme à feu au service de leurs idéaux politiques.
https://www.medrxiv.org/content/10.1101 ... 22277693v12) sur la question de l'avortement et des arrêts futures de la SCOTUS
Vaste sujet, dont il est encore difficile d'appréhender pleinement les retombées. Concernant l'avortement, les démocrates ne peuvent pas faire grand chose pour l'heure puisque Manchin refuse d'abolir le filibuster (et même ainsi, il n'est pas certain qu'il voterait en faveur d'un texte protégeant le droit à l'avortement au niveau fédéral, par contre pour les sénatrices républicaines Collins et Murkowski ce serait assez probable...). Cette question là se débat donc fortement au niveau des états, et la division entre deux blocs antagonistes se met en place, avec d'un côté les états bleus qui sanctuarisent le droit à l'avortement, et les états rouges qui criminalisent le recours à l'avortement. Je persiste à penser que sur cette question le GOP s'est enfermé sur la position la plus extrême de son électorat, et n'a que des coups à prendre. Un premier test : il y aura un référendum sur le sujet au Kansas pour modifier la constitution afin d'interdire l'avortement (en effet la cour suprême locale a confirmé en 2019 que la constitution de l'état garantissait le droit à la vie privée, et donc à l'avortement). Si cette modification de la constitution dans un sens hostile à l'avortement devait échouer (ou être ratifié de peu) cela caractériserait que même dans un état ultra conservateur, l'option anti avortement est loin de faire l'unanimité. La question va être un enjeu majeur des élections pour les postes de gouverneur de l'automne. Et le fait que les républicains semblent décider à interdire tous les avortements (y compris en cas de viols ou d'incestes, même sur des mineurs) risque de leur poser un gros problème dans un paquet d'états.
Les démocrates ont décidé préventivement de tenter de protéger le droit au mariage des homosexuels (puisqu'il semble être le prochain sur la liste des juges conservateurs de la SCOTUS) : la Chambre a déjà passé un texte de loi (par 267 voix pour 157, 45 représentants républicains votant avec les démocrates, la plupart étant soient des libertariens, soient des élus assez jeunes, soit élus dans des districts tangents) qui obligerait tous les états à reconnaitre les mariages valides dans au moins un autre état. Le texte doit désormais être examiné par le Sénat. Les 50 sénateurs démocrates et indépendants se sont déclarés favorables à le signer, ainsi que 5 sénateurs républicains (Collins du Maine, Murkowski d'Alaska, Portman de l'Ohio, Thilis de Caroline du Nord et Johnson du Wisconsin). Beaucoup de sénateurs républicains réservent leur choix, certains tentent de dire que tout cela est inutile et que la SCOTUS ne reviendra pas sur le mariage homosexuel (déclarer une telle chose après que cette dernière ait annulé le droit à l'avortement, c'est audacieux je trouve). A mon avis beaucoup de sénateurs républicains n'ont pas très envie de devoir se prononcer là dessus, sachant que le soutien au mariage homosexuel dans l'ensemble de la population est encore plus fort que le soutien à l'avortement. Mais là aussi, le GOP semble de plus en plus cornerisé par sa branche la plus orthodoxe. Parce que là aussi on a un autre sondage assez flippant : 25% des électeurs républicains déclarent ne pas vouloir que la loi défende le droit au mariage interracial (on parle bien là du mariage de deux personnes de couleur différente, pas de deux personnes du même sexe).
https://www.dailykos.com/stories/2022/7 ... l-marriage3) travail parlementaire
Pendant ce temps, malgré l'étroitesse de leur majorité au Congrès et les soucis avec Manchin et Sinema, les démocrates ont tout de même réussi à faire voter 2-3 bricoles. Notamment un plan de réindustrialisation pour refaire fabriquer des composants informatiques aux USA plutôt qu'en Chine, ainsi qu'un plan (assez timide mais c'est toujours mieux que rien) d'encadrement de la vente des armes, ainsi qu'une mise à jour et un dépoussiérage de la validation des résultats de la présidentielle par le VP et le Congrès (la contestation des résultats officiels des états devient plus contraignante et il est désormais écrit noir sur blanc que le VP n'est là que pour lire le nom du vainqueur, tout cela est lié aux actions passées de quelqu'un à priori :) ).
https://www.nytimes.com/2022/06/25/us/p ... biden.htmlhttps://www.cnbc.com/2022/07/28/china-c ... biden.htmlhttps://www.axios.com/2022/07/20/electo ... bipartisanQuant au texte sur le mariage, je pense que Schumer, le leader de la majorité démocrate au Sénat, va attendre d'être un peu plus proche des élections de novembre pour le proposer aux voix de la Chambre Haute, histoire d'embêter un maximum les républicains...
Mais la grosse surprise du chef est venue de Manchin. Alors qu'on pensait que tout projet un tant soit peu ambitieux en lien avec le programme Build Back better était mort et enterré, le sénateur démocrate de Virginie Occidentale et Schumer ont sorti à la surprise quasi générale un lapin du chapeau il y a quelques jours. Les deux ont dealé un accord (dans le cadre d'un projet de loi budgétaire dit de réconciliation, donc potentiellement votable sans les républicains) visant à augmenter les impôts des plus riches et des compagnies (ainsi qu'un plan de luttes contre l'évasion fiscale, en gros 700 milliards de nouvelles recettes) et à financer de nouvelles dépenses à hauteur de 400 milliards (300 milliards pour l'environnement et les énergies renouvelables, et 100 milliards pour les aides sociales, avec notamment une baisse des coûts des médicaments et une extension des plafonds d'accès aux aides). L'écart entre les deux devant servir à réduire le déficit (voire à limiter l'inflation ?).
https://www.washingtonpost.com/us-polic ... l-climate/Sur ce dernier plan on peut aussi objecter que c'est moins que ce que certains espéraient. Mais ça a au moins le mérite d'exister et d'avoir l'assentiment de Manchin. Le texte semble plutôt bien accueilli par l'aile gauche du parti démocrate (qui n'espérait plus un plan d'aides aussi massives en faveur de l'environnement comme encore possible). Reste à voir si Sinema la sénatrice de l'Arizona irait jusqu'à mettre son grain de sable ? Ce serait un suicide politique pour elle, mais elle m'a l'air très conciliante avec les lobbies ? Affaire à suivre...