Jean-Philippe a écrit:Il y a un problème qui revient régulièrement : Trump bafoue la loi (meeting dans le jardin de la Maison Blanche, utilisation des moyens humains de l'Etat pour faire compagne...), mais il ne semble y avoir aucune suite. Comment cela s'explique t-il ? Il y a des poursuites engagées ou pas ? Qui pour les mener ? Comment peut-on mettre des limites à un président qui s'en affranchit allègrement ?
Cela me rappelle un peu comment Hitler a progressivement détricoté le traité de Versailles, en profitant de l'inaction des autres puissances. Heureusement qu'il ne reste (normalement) que 3 mois à Trump pour abaisser la fonction présidentielle.
L'un des signes les plus clairs que Trump commence à être lâché par le GOP (je dis bien "commence"), est que certains élus ou candidats très trumpistes cessent de s'en réclamer. Ainsi, la sénatrice de l'Arizona Martha McSally, en grande difficulté dans les sondages, évite de dire qu'elle soutient Trump pendant le débat alors qu'on lui demandait si elle était fière de la façon dont elle a soutenu Trump.
"Je suis fier de me battre pour l'Arizona chaque jour", a t-elle déclaré évasivement (
source).
Déjà , Trump ne bafoue pas forcément la loi par ses pratiques : il peut bafouer l'esprit de la loi, ou des pratiques communément admises mais non contraignantes (c'est le cas avec la non publication de ses déclarations fiscales par exemple).
Ensuite, énormément des lois ou pratiques enfreintes par Trump doivent normalement être investiguées par le Sénat. Or, depuis 2014 et le basculement de la majorité sénatoriale aux mains des républicains, il est très clair que la majorité républicaine ne fait valoir son rôle de contrôle et d'investigation de l'exécutif uniquement lorsque cet exécutif est démocrate.
Par contre, de très nombreuses initiatives de Trump sont en fait très efficacement contrées par le système judiciaire ou par les états fédérés. On en a peu parlé mais récemment, de nombreux arrêtés judiciaires ont clairement grandement limité les champs d'exercice du pouvoir des très nombreux membres par intérim de cette administration (ils ne peuvent plus modifier les nominations au sein de leur ministère, beaucoup de leurs décrets n'ont pas force de lois, ils ne sont pas intégrés dans l'ordre de succession...). D'ailleurs, une très grande partie du legs de Trump est le fruit de décrets présidentiels qui pourront être annulés très facilement et très rapidement par le premier président démocrate venu.
Si les élus républicains sont aussi peu prompts à condamner l'exercice plus que tendancieux de Trump c'est tout simplement parce qu'ils sont bien conscients que Trump marche sur l'eau auprès de leur base électorale. Et il n'y a pas grand chose que les élus républicains peuvent faire contre ça : les électeurs républicains vivent désormais dans une réalité alternative, nourrie par Fox et Breitbart. Un exemple : suite à l'enquête sur le coup de fil entre Trump et le président ukrainien, 50% des électeurs républicains sont persuadés que Trump n'a jamais prononcé le nom de Biden lors du fameux appel. Et pourtant, il suffit de lire la retranscription de l'appel (retranscription transmise par Trump et certifiée 100% authentique par lui pourtant) pour savoir de quoi il retourne.
Enfin, j'aimerais rappeler que les démocrates ont bien tracé une ligne rouge concernant les pratiques et l'exercice du pouvoir de Trump : ils l'ont impeaché :).
manudu83 a écrit:Ceic dit, Trump est loin encore d'avoir perdu, depuis 1948, l'alternance a été souvent sur un bloc de 8 ans, Trump est sortant, possède une base mobilisée, une stratégie que contrairement à d'autre je trouve cohérente :mobiliser son camp en particulier dans les états clés tout en essayant de démobiliser l'électorat démocrate(faire passer Biden pour un communiste auprès des indépendants, le faire passer pour un mou auprès de la frange la plus libérale).
Je suis d'accord avec vous sur un point : Trump est loin d'avoir déjà perdu.
Par contre, en effet, nous divergeons sur la cohérence de la stratégie de Trump. Déjà , un paradoxe évident : j'ai du mal à comprendre comment Biden peut à la fois être un vieillard sénile et impotent et un dangereux dictateur communiste simultanément :). Je ferais la même remarque concernant le débat Pence-Harris : le VP a tenté de décrire Harris à la fois comme une dangereuse anarchiste voulant le chaos dans les rues, tout en la dépeignant comme une ancienne AG de Californie trop sévère envers les délinquants (amis de la cohérence bonjour :) ). Ensuite, en 2016, les critiques de Trump se concentraient uniquement sur Clinton. Aujourd'hui, dans la bouche du président, tout le monde est communiste ces dernières semaines : Biden, Harris, Black lives matter, les médias, les Californiens, les New-Yorkais. Là aussi, la contradiction me parait évidente : comment Biden peut être trop communiste pour les indépendants, mais pas assez pour l'aile gauche des démocrates ? Les angles d'attaque retenus par Trump contre Biden me paraissent nettement moins efficaces et cohérents que ceux retenus contre Clinton il y a 4 ans. Rappelons aussi qu'une présidence avec un sortant, c'est toujours un référendum sur le sortant. Trump tente d'en faire un référendum sur Biden, mais il est très clair que cette option ne marche pas vraiment.
Enfin, concernant la stratégie de Trump avec sa base, ce n'est pas l'utilité de cette stratégie que je remets en cause. C'est son exclusivité que je critique. On l'a complètement oublié, mais en 2016, Trump passait pour un candidat transgressif qui rendait flou les divisions entre politiques démocrates et politiques républicaines. J'aimerais rappeler quelques éléments de la campagne 2016 :
1) Trump était alors perçu comme le candidat un peu plus pro-palestinien et Clinton la candidate plus pro-israélienne
2) Trump défendait la hausse du salaire minimum (à un niveau moins élevé que les démocrates, mais quand même :) )
3) Trump prétendait avoir un plan solide de développement des infrastructures et un nouveau plan de sécurité sociale
Trump a complètement abandonné toutes ces prétentions transgressives, et il a complètement redéfini de manière très claire les lignes de partage entre un agenda démocrate et un agenda républicain. Là aussi, il faut tout de même rappeler d'où vient Trump : c'est un ancien démocrate qui se déclarait pro-choice. Il existait un autre chemin pour Trump : tenter d'être un président trans-parti. Il a opté pour être le président d'un camp contre un autre.
Mais il est désormais certain (et ce depuis au moins 4 ans déjà :) ) que sa base lui est totalement acquise et dévouée. Il ne peut plus la perdre, et, pourtant, il continue à ne s'adresser qu'à elle (sur le masque, la distanciation sociale et la gestion du Covid c'est très clair). Généralement, tous les présidents se recentrent après les midterms. Trump ne l'a pas fait, et ça se voit.
L'autre gros souci de la stratégie de Trump, c'est qu'elle mobilise autant la base démocrate que sa propre base, et, là aussi, ça se voit depuis 4 ans (Trump a réussi l'exploit de faire en sorte que les démocrates se mobilisent plus sur des élections spéciales et intermédiaires que les républicains, chapeau l'artiste), et ça se voit beaucoup dans cette campagne (les candidats démocrates nagent désormais dans un océan de cash financé par les petits dons de leurs électeurs qui n'ont qu'un seul objectif : virer Trump).
D'ailleurs, dans les dernièrs sondages (bien sur on peut dire que ce ne sont que des sondages), Biden obtient plus de 95% des voix démocrates, Trump est lui plus près des 90% côté républicains (signe qu'il existerait peut-être un poil plus de place pour des républicains anti-Trump que des démocrates anti-Biden ?).
Personnellement, si je considère désormais que Biden a plus de chances de gagner la présidentielle que Trump, ce n'est pas seulement parce qu'il y a du chômage, ce n'est pas seulement parce qu'il y a 220 000 morts du Covid aux USA, ce n'est pas seulement parce que Trump aura toujours été un président majoritairement impopulaire, ce n'est pas seulement parce beaucoup de ses promesses de campagne de 2016 ne se sont pas concrétisées (pas de mur, pas de fin de l'immigration, le déficit commercial avec la Chine n'a jamais été aussi élevé, les USA sont toujours le gendarme du monde...). C'est surtout parce qu'il commet à mon sens tout un tas d'erreurs de stratégie de campagne : il mène l'exacte même campagne qu'en 2016. Je peux me tromper complètement, mais, à mon sens, ce qui marche pour un candidat neuf non sortant opposé à la candidate la plus détestée de l'histoire électorale américaine ne peut pas marcher à l'identique pour un sortant devenu le président le plus clivant de l'histoire moderne américaine face à un candidat nettement moins clivant et ayant un bilan de sortant.