de Corondar » Mar 27 Avr 2021 16:28
En effet, beaucoup de surprises avec ce recensement 2010-2020.
Déjà , pour rappeler le contexte, ce recensement a pris beaucoup de retard suite à la volonté farouche de l'administration Trump d'exclure les étrangers de ce recensement, en allant à l'encontre des textes de lois et des pratiques du recensement US depuis tojours. Volonté qui a échoué devant la justice, mais qui a considérablement ralenti le processus.
Il y a encore peu de temps d'ailleurs, le Bureau du Recensement émettait encore des doutes quant à la faisabilité de rendre son rapport avant l'automne, ce qui faisait craindre à certains que les changements ne puissent pas être pris en compte avant les midterms de l'année prochaine (le redécoupage des états perdant ou gagnant des sièges prend toujours un peu de temps, et avec le calendrier des primaires, une livraison des chiffres à l'automne aurait rendu le calendrier compliqué, et aurait sans doute repoussé le redécoupage à après 2022).
Finalement le Bureau aura réussi à livrer ses chiffres plus tôt que prévu, et il y a donc des surprises par rapport à ce que les experts commençaient à anticiper : il y a nettement moins de changements et de modifications qu'attendu.
On parlait par exemple de voir le Texas gagner 3 sièges et la Floride 2. Au final ce sera 2 pour le Texas (seul état à en gagner plus d'un) et un seul pour la Floride. Et, en effet, il semble que pour ces 2 états les consignes trumpiennes (sans doute plutôt suivies par les autorités républicaines aux commandes des 2 états en question) et les ratés dans le calendrier ont sans doute minoré quelque peu leur poids réel.
Résultat également, depuis 1900, c'est la deuxième plus faible hausse décennale de la population US (7.4% entre 2010 et 2020, contre 7.27% entre 1930 et 1940). Les experts démographiques se battent déjà entre eux pour expliquer cette augmentation plus faible que prévue : impact d'une sous-estimation voulue par l'administration précédente (avec une mauvaise évaluation du nombre des étrangers dans certains états ?), impact de la crise de 2008 (sur la décennie 1930, c'était clairement la crise de 1929 qui était à l'origine d'une hausse plus modérée de la population, aussi bien sur les naissances que l'immigration), hausse de la mortalité (depuis quelques années l'espérance de vie baisse aux USA, en cause notamment les maladies cardio-vasculaires liées au fléau de l'obésité), lutte plus importante contre l'immigration (les administrations Obama et Trump ayant en réalité été plus efficaces à lutter contre l'immigration clandestine que les administrations Clinton et Bush)... Surement une conjonction de tout ça ?
La population américaine dépasse néanmoins la barre des 330 millions d'habitants.
Mais du coup, les conséquences politiques sont également nettement moins grandes que ce que l'on pouvait imaginer, et il n'est au final pas si certain que ça que les républicains puissent récupérer la part du lion de ces nouveaux chiffres.
En effet, si on regarde les variations et les découpages partisans à venir dans les états concernés, le résultat global pour chaque parti devrait être nettement plus équilibré que ce que certains entrevoyaient :
1) le GOP va sans doute pouvoir se créer deux nouvelles circonscriptions imperdables avec 1 en Floride (contre 2 si l'état avait mieux joué le jeu du recensement ?) et 1 autre en Caroline du Nord (dans cet état les assemblées locales aux mains des républicains ont retiré au gouverneur démocrate son droit de veto en la matière suite au bras de fer de l'année dernière). Mais le GOP est condamné à perdre 3 sièges avec 1 en Illinois (dans cet état ce sont les démocrates qui gerrymandent, et il ne fait de doute pour personne que c'est un district républicain qui va sauter), 1 à New-York (même constat que pour l'état précédent) et 1 en Virginie Occidentale (les 3 sièges étaient rouge vif, les 2 restant le seront aussi, ça fait une perte sèche pour le GOP). Entre les gains et les pertes on est donc à -1 siège pour les républicains.
2) les démocrates vont gagner 1 siège en Oregon (là aussi les démocrates sont aux manettes du gerrymandering) et 1 siège au Colorado (là le découpage est assuré par une commission indépendante, mais vu la hausse du poids démographique de la métropole de Denver, il est acquis que le nouveau siège sera sans doute très urbain et donc très pro démocrate), contre 1 seule perte en Californie (là aussi le découpage est non partisan, mais étant donné qu'il y a énormément de districts démocrates et plus beaucoup de districts réellement républicains, la probabilité que ce soit un siège bleu qui saute est très forte). Précisons que c'est la première fois dans l'histoire américaine que la Californie perd un siège suite à un recensement.
Entre les gains et les pertes ont est donc à +1 pour les démocrates.
Restent un paquet d'états où il est plus difficile d'estimer qui pourrait espérer récupérer un siège ou au contraire en perdre un :
1) au Michigan, le découpage est désormais non partisan (les démocrates ont fait ratifier par les électeurs de l'état en 2018 la création d'une commission indépendante pour les découpages électoraux, retirant ce pouvoir des mains des assemblées locales). Actuellement la représentation de l'état (14 représentants) est divisée à parts égales : 7 républicains et 7 démocrates. Comme c'est une commission indépendante qui va découper, il est difficile de savoir quel district va sauter, et, surtout, il est fort probable que le nouveau découpage soit plus équilibré que l'ancien (on aurait peut-être 3 ou 4 districts réellement en jeu contre une dizaine de districts assurés pour un camp ?).
En Pennsylvanie c'est un peu le même principe, mais en plus compliqué. Dans cet état, le découpage est aux mains d'une commission où chaque parti nomme ses représentants, et le projet final peut être rejeté par un veto du gouverneur, lequel est démocrate. Dans cet état le précédent découpage avait déjà fait l'objet d'une lutte intense entre le gouverneur démocrate et les républicains de l'état, qui avait abouti à une carte très équilibrée (9 représentants chacun aujourd'hui). Il est donc là aussi très délicat de savoir quel district va disparaître et à qui cela profitera. Pour cet état il devrait y avoir un combat juridique entre démocrates et républicains.
2) pour l'Ohio, normalement les républicains sont aux manettes, et l'art du gerrymandering y est pratiqué massivement. Mais les républicains y ont un peu le même problème que les démocrates en Californie : il y actuellement 12 représentants républicains pour 4 démocrates. Même avec un expert en gerrymandering pour manier les ciseaux, il n'est pas totalement certain que les républicains arrivent à faire disparaître un des sortants démocrates de l'équation. Il y aurait bien le district 13, occupé par le démocrate Tim Ryan, avec un PVI à D+1, qui pourrait être redécoupé pour être plus républicain compatible (genre PVI à R+4 ou 5 ,), mais Ryan étant tout de même très populaire dans son district (qui a déjà été redécoupé précédemment pour essayer de le faire tomber, puisqu'il a migré de l'ancien district 17, très démocrate, à ce nouveau district 13 nettement plus équilibré donc), il a tout de même été réélu avec 8 points d'avance en 2020. Du coup il pourrait éventuellement survivre à un nouveau coup de bistouri électoral ? Et puis pour cet état, les républicains vont entrer dans le billard à 3 bandes concernant Ryan : si ce dernier était confronté à un nouveau district très républicain, il pourrait être poussé à tenter sa chance sur le poste sénatorial de l'état, qui sera ouvert en 2022 (le sortant républicain ne se représentant pas). Or, pour beaucoup de républicains de l'état, Ryan est perçu comme le candidat démocrate potentiellement le plus dangereux pour la sénatoriale, du coup ils préféreront peut-être le voir rester à la Chambre que tenter le Sénat ?
Bref, il n'est pas certain que les républicains parviennent à un découpage ne leur faisant pas perdre un siège dans cet état...
3) au Montana, ce sera personnellement le découpage qui m'intéresse le plus. L'état passe de 1 à 2 sièges, et dans cet état le découpage est entre les mains d'une commission indépendante. Or, si l'état est rouge, il ne l'est pas autant que ses voisins des Rocheuses, et il n'est pas du tout impossible qu'on aboutisse à un district un peu plus rural et un autre un peu plus urbain. Pour ce dernier siège, les républicains seraient sans doute tout de même favoris, mais pas forcément tant que ça (les démocrates arrivant à faire élire régulièrement des sénateurs et des gouverneurs dans cet état). J'aurais quand même plutôt tendance à penser que ce sera un siège de plus pour les républicains, mais c'est pas non plus totalement certain (il faudra vraiment voir à quel découpage aboutira la commission indépendante).
4) enfin au Texas, c'est comme pour l'Ohio : les républicains gerrymandent massivement en leur faveur, mais le fait que l'état ne gagne que 2 sièges et pas 3 leur complique grandement la tâche. En effet, au Texas, il n'y a pas photo, les comtés qui gagnent beaucoup de populations sont les comtés urbains, et, là aussi, faire en sorte que les 2 nouveaux districts soient très pro républicain parait très difficile à obtenir. Il est fort probable qu'on termine ici avec 1 nouveau district républicain et 1 nouveau district démocrate ?
Pour résumer, je dirais qu'au niveau des sièges dont on est certain : on est à -1 pour les républicains et +1 pour les démocrates (ce qui veut donc dire démocrates +2 au final). Restent 6 sièges où il est plus délicat d'estimer dans quel sens cela va pencher ou pas. Si les républicains parviennent à capter 4 de ces 6 sièges on serait alors sur un statu quo au global entre le recensement précédent et le nouveau.
Bref, je pense que les redécoupages joueront sans doute un rôle assez limité dans les résultats des midterms 2022, d'autant que, comme je l'avais déjà signalé, il va être très difficile pour les républicains d'optimiser autant le découpage de 2021 qu'ils avaient pu optimiser celui de 2010 : les élections de 2016 et 2020 ont laissé entrevoir des coalitions électorales mouvantes, avec un effet Trump difficile à lire et difficile à transposer sur des élections futures.
Pour le collège présidentiel, cela ne change pas grand chose non plus : avec le nouveau recensement, Biden aurait eu 303 GE contre 306, pas de quoi changer la face du monde.
D'un point de vue purement démographique, on constatera que désormais 2 Américains sur 3 vivent dans le Sud et l'Ouest du pays (la fameuse Sun-Belt), et que les états du Midwest et du Nord-Est continuent à voir leur poids relatif se réduire de plus en plus.