de vudeloin » Ven 21 Jan 2011 17:18
Il est vrai que le discours sur « le Sénat peut il passer à gauche en 2011, alors qu’il ne l’a jamais été sous la Ve République « peut en surprendre plus d’un, sauf à n’avoir aucune notion historique en sciences politiques.
Parce qu’enfin, de 1958 à 1968, c'est-à -dire pendant les dix premières années de notre actuel régime constitutionnel, le Sénat était présidé par Gaston Monnerville, sénateur radical du Lot, maire de Saint Céré et dont la particularité était d’être né en Guyane – ce qui fait d’autant plus rire quant au débat sur la diversité – et d’être assez nettement antigaulliste.
Monnerville, qui a laissé son nom à une salle de réunion au Sénat dans l’immeuble Alain Poher, s’est par exemple opposé avec force au projet de loi soumis à referendum en 1969 et qui portait notamment sur la réforme du Sénat, comme il s’était opposé au recours au suffrage universel pour l’élection du Président de la République et même à la mise en place du Conseil Constitutionnel.
Pour éclairer tout à fait la lanterne de chacun ici, je rappellerai les rapports de forces au Sénat, dans les débuts de la Ve République.
Ainsi en 1959, le Sénat comptait 309 membres dont 14 communistes, 61 socialistes, 66 radicaux et apparentés ( les élus du Rassemblement Démocratique Africain entre autres qui a servi de base aux nouveaux partis nationaux des pays africains indépendants en 1960 ), soit 141 élus sur le flanc gauche et centre gauche ; 34 MRP et centre démocrate ; 20 centre républicain : 70 républicains indépendants et 37 élus gaullistes, plus 7 non inscrits.
Une situation globale qui n’avait pas empêché, loin de là , Monnerville d’être réélu Président du Sénat après avoir été celui du Conseil de la République.
En 1962, avec le départ des sénateurs issus des anciennes colonies, l’effectif retombe à 274.
On compte 14 communistes, 52 socialistes, 50 gauche démocratique, soit 116 élus de gauche et de centre gauche, 35 MRP et assimilés, 20 centre républicain, 65 républicains indépendants et 32 UNR ; 6 non inscrits complétant l’effectif.
Monnerville est réélu avec le soutien des MRP.
Pour comprendre ce qui peut surprendre aujourd’hui, quand on connaît le positionnement du centre, il faut savoir qu’à l’époque, il n’était pas rare de se trouver face à des municipalités où la SFIO, les radicaux, le MRP et parfois même une partie de la droite était associée à la gestion locale.
En 1965, pas de changement à gauche, mais trois sièges de mieux pour le MRP, un de moins pour le centre républicain, 5 républicains indépendants et 2 UNR de moins et 5 non inscrits en plus.
En 1968, par contre, si les communistes se retrouvent à 18 ( tirant en cela parti de leurs progrès aux municipales de 1965 en listes d’union de la gauche ), la SFIO ne progresse pas et la gauche démocratique cède 7 sièges.
Le groupe de l’Union Centriste des Démocrates de Progrès ( UCDP ) voit le jour et compte d’entrée 47 élus, s’affirmant comme le plus grand gagnant d’une série où figuraient les départements du Bas Rhin à l’Yonne et ceux de l’Ile de France.
Le centre républicain reste à 19 élus, les républicains indépendants retombent à 54 et l’UNR progresse à 36 votes.
Le groupe UCDP, groupe d’Alain Poher, force montante, finit donc par imposer son candidat qui, au bout d’une élection exténuante est élu.
Le problème, c’est que le Sénat compte alors 283 élus dont 113 seulement sur le flanc gauche et centre gauche.
La domination centriste puis giscardienne sur le Sénat s’installe.
Elle durera 27 ans, jusqu’au jour d’octobre 1995 où, trahi par quelques uns de ses alliés a priori les plus fidèles, René Monory devra quitter le Petit Luxembourg pour retourner, amer et contrit, dans sa bonne ville de Loudun.
Un scénario des années Monnerville pourrait il se reproduire en 2011 ?
Alors évidemment, pour la suite, c'est-à -dire 2014, il faudra voir d’où on part…
Je ne vais pas vous faire par le menu le point de ce qui est possible alors, en fonction des résultats des élections locales de 2014 en particulier, municipales comme territoriales éventuelles mais quelques indications quand même.
Sur la série renouvelée en 2008, on peut avoir statu quo dans l’Ain, deux sièges gagnés par la gauche dans l’Aisne, un dans l’Allier, un dans les Hautes Alpes, statu quo ensuite des Alpes de Haute Provence au Calvados.
Je pense que la droite reprendra le siège cantalien, mais perdra peut être d’un coup les trois sièges de la Charente Maritime, et peut perdre le dernier siège de Côte d’Or.
Elle peut aussi laisser en route le dernier siège du Doubs.
Regagner un siège dans le Finistère mais perdre celui du Gard.
Perdre le siège du Gers, un siège dans l’Hérault.
Total : 10 sièges de plus à gauche.
Dans la série renouvelée en 2004, la gauche perdra un siège dans le Bas Rhin, gagnera deux ou trois sièges en Saône et Loire, deux sièges dans les Deux Sèvres, perdra peut être un siège dans le Vaucluse, et gagnera peut être, de manière très hypothétique, un élu chez les Français de l’Etranger.
Total : 4 sièges de plus, nonobstant donc l’Outre Mer où les incertitudes portent sur la Guyane, selon l’évolution en cours, la Polynésie et l’archipel de Wallis et Futuna.
Même en perdant 3 sièges, la gauche pourrait se retrouver avec un solde positif de 11 sièges, bien suffisant pour prendre la présidence du Sénat même dans l’hypothèse la plus favorable à la droite en 2011 selon Gérard Larcher.