de maxxx » Lun 20 Déc 2010 19:46
Dans notre tour d'horizon des départements qui renouvelleront leur représentation sénatoriale, le cas de la Manche est à classer parmi les fiefs sur lesquels la droite aimerait pouvoir s'appuyer pour compenser les pertes qu'elle pourra enregistrer ailleurs...En effet, à l'instar du Loiret, du Val d'Oise, de la Seine-et-Marne, de l'Essonne ou de la Moselle, voire de l'Indre-et-Loire, la bonne tenue de la majorité présidentielle dans son territoire de la Manche lui donne légitimement quelques espoirs...
Je fais d'abord un détour par les résultats de septembre 2001. A l'époque, le scrutin se jouait à la proportionnelle, mode électoral qui a beaucoup favorisé la gauche dans les fiefs de droite (Loiret, Maine-et-Loire, Indre-et-Loire...), plus largement en tout cas que la droite dans les fiefs de gauche (Puy-de-Dome).
Sortants: 2 RPR, 1 DL
Inscrits: 1 557
Votants: 1 545
Exprimés: 1 534
Liste Jean Bizet (RPR) 431 - 28.10%
Liste Christiane Durchon (Verts) 22 - 1.43%
Liste Claudine Esterlingot (DVG) 2 - 0.13%
Liste J.-Pierre Godefroy (PS-PCF-MDC-DVG) 368 - 23.99%
Liste Jean-François Le Grand (RPR) 495 - 32.27%
Liste Fernand Le Rachinel (FN) 35 - 2.28%
Liste Roselyne Marchand (Div.) 11 - 0.72%
Liste Michel Thoury (UDF) 170 - 11.08%
Soit un cumul très important à droite : 1096 voix soit 71.45% - sans compter les voix du FN.
La lecture de ces résultats montre d'emblée à quel point ce sera vraiment extrêmement difficile pour le PS de se maintenir : en effet, le PS ne devait son siège uniquement grâce à l'introduction de la proportionnelle. Or, le département ne gagne pas de siège supplémentaire l'an prochain et repasse donc au scrutin uninominal majoritaire à deux tours.
En 2001, avaient été élus, dans l'ordre :
- Jean-François Le Grand (UMP), 68 ans, véritable maitre de ce département : président du conseil général depuis 1998, il tient solidement les rênes de l'institution...Il est conseiller général de Lessay depuis 1976, et siège au Sénat depuis 1982. Il est très apprécié localement, chez les grands électeurs de ce département rural et n'hésite pas à pousser des coups de gueule quand il le faut (assises du RPR en 1997, mise en congé volontaire de l'UMP pour contester la reconduction du député Claude Gatignol aux législatives de 2007 - il soutiendra en vain contre le député un de ses proches, le maire DVD de Sainte-Mère-Eglise, largement battu au premier tour). Une petite désillusion récente au tableau avec son échec lors des régionales de mars dernier. Il n'a d'ailleurs pas siégé au conseil régional pour cause de non cumul.
- Jean Bizet (UMP), 63 ans, élu depuis 1996 au Sénat, suite à la démission du sénateur RI Jean-Pierre Tizon. Il est maire du Teilleul depuis 1983, conseiller général du canton du même nom depuis 1985. Il préside par ailleurs le pays de la Baie du Mont-Saint-Michel et reste vice-président de la communauté de communes de son canton. Depuis la nomination d'Hubert Haenel au Conseil constitutionnel, il a surtout hérité de la présidence de la commission des affaires européennes du Sénat. Un peu moins visible et moins populaire chez les grands électeurs de la Manche par rapport à Jean-François Le Grand, il est mieux implanté que ce dernier au sein du Palais du Luxembourg : pour l'anecdote croustillante, les deux hommes sont tous deux engagés sur les problématiques environnementale et agricoles, mais dans des camps totalement opposés et se sont affrontés lors du débat sur le projet de loi OGM de 2008...Et c'est Jean Bizet, dénoncé comme pro-lobbies-OGM, qui a gagné le match...Les deux sénateurs ne sont donc pas des proches mais savent également ne pas faire prendre des proportions trop exagérées à leurs rivalités...Jean-François Le Grand ayant besoin du soutien de Jean Bizet au CG
- Jean-Pierre Godefroy (PS), 66 ans, maire indétronable de Cherbourg de 1980 à 2001 (seule zone de réelle influence pour la gauche locale), toujours conseiller régional et ancien vice-président de l'institution...Il a oeuvré avec Bernard Cazeneuve pour l'unification de leurs deux villes (Cherbourg et Octeville) et a profité de cette période pour laisser son siège en 2001 au député PS. C'est un pur bébé du scrutin proportionnel. En effet, il est intéressant de noter que Jean-Pierre Godefroy était candidat de la gauche lors de la sénatoriale partielle de 1996, provoquée par la démission du sénateur Tizon : à cette occasion, Jean Bizet avait littéralement écrasé le maire de Cherbourg par 66.28% contre 29.70% (4% pour le FN Le Rachinel).
Les trois sortants sont en âge de repartir et je ne vois pas d'obstacles politiques à une nouvelle candidature. Les deux sortants UMP ont déjà exprimé leur envie de repartir, arguant le passage à 6 ans du mandat de sénateur...
Le topo que je viens d'établir plaide largement en faveur de la droite :
- les positions politiques et électorales restent de loin extrêmement favorables à la droite : la droite domine sans aucune crainte le conseil général (34 élus de la majorité départementale - avec par ailleurs 3 élus NI-Modem plutôt à droite - contre 15 élus pour la gauche - donc un rapport de force inatteignable pour la gauche l'an prochain avec même des chances de reconquête pour la droite notamment sur Carentan ou Valognes), elle a bien tenu le coup lors des municipales de 2008 : elle est très majoritaire dans les petites communes et a surtout bien résisté dans les grandes : alors que la partie était délicate, elle a été reconduite dans des villes qui penchent à gauche (Saint-Lo, Carentan, Coutances), s'est maintenue en soutenant un candidat ex-PS-DVG (dont la liste était remplie d'UMP et de NC) à Granville, a conservé ses fiefs d'Avranches, de la Glacerie, de Querqueville, de Bricquebec, de Villedieu-les-Poeles, d'Agneaux entre autres, et, cerise sur le gâteau, elle a facilement repris la ville de Valognes, ville de l'ancienne sénatrice UDF Anne Heinis (battue aux sénatoriales de 2001 comme numéro 2 de JF Le Grand), que la droite avait perdu pendant 2 mandats au profit du PC...L'expertise et l'analyse de Bertrand Salvat viendront probablement affiner de manière pertinente ce tableau...
- le scrutin uninominal rétabli, les deux sortants UMP pourront repartir chacun de leur côté sans pénaliser leur camp et sans risque de se chamailler entre eux pour attirer les voix des grands électeurs : il est inutile de préciser qu'il y avait peu de chances qu'il fassent liste commune si on était resté au scrutin proportionnel...Mais là , les deux sortants, avec leurs réseaux chez les grands électeurs, leur ancienneté et surtout leur très forte connaissance du monde rural et agricole (ils sont tous deux élus de cantons ruraux), sont les meilleurs atouts possibles pour la majorité présidentielle - je ne doute pas du fait qu'ils devraient être reconduits haut la main...
- car, dans ce département, la gauche risque de mener une bataille que les plus pessimistes diraient perdue d'avance...Inutile de préciser que la position de sortant de Jean-Pierre Godefroy est bien le seul atout à jouer pour la gauche : mais, même avec cet atout, la domination de la droite est tellement forte que ça risque de ne pas suffire : par rapport à 2001, la gauche n'a pas renversé une machine de 72% des voix pour la droite classique (et, pour ne rien arranger, la droite n'a plus à craindre les déperditions de voix du côté de Fernand Le Rachinel, l'imprimeur et ex-leader local du FN, qui fut même élu conseiller général jusqu'en 2001 dans son canton de Canisy : ce dernier a quitté le FN (en exigeant par ailleurs d'être remboursé de son prêt - cf. Les difficultés financières du FN) et a cofondé avec Carl Lang le PDF).
Pour ne rien arranger, le sortant PS est élu de la seule zone d'influence réelle de la gauche dans la Manche, à savoir l'agglo de Cherbourg-Octeville : c'est-à -dire d'une grande ville, dans un département très rural, en dehors de Cherbourg et plus modestement de Saint-Lo-Agneaux...
Cela pourrait d'ailleurs peser dans la balance pour le sortant, s'il hésitait à se représenter...
- dans une telle situation, il est bien évident que l'enjeu sera de connaitre quel 3ème candidat l'UMP va-t-elle aligner...Candidat déclaré depuis longtemps, l'ambitieux Jean-Louis Valentin, 46 ans, est dans les starting-blocks : avec un profil à la Bruno Le Maire, cet énarque, ancien dir cab de Jean-Louis Debré, connu nationalement - et médiatiquement depuis sa démission fracassante et son coup de gueule en juin dernier - comme directeur délégué de la fédération française de football de 2008 à 2010, a connu des débuts difficiles en politique : il a échoué à s'implanter en Champagne, a atterri comme candidat aux régionales de 2004 - on lui a fait miroiter une possible vice-présidence du conseil régional comme tremplin pour les législatives, mais l'UMP n'avait pas prévu à cette époque qu'elle pouvait perdre son bastion de Basse-Normandie : en position éligible mais qu'en cas de victoire, il n'avait pas été élu. Il a sollicité le vote des militants dans la 4ème circonscription, celle de Valognes, détenue par Claude Gatignol : désigné par les militants, Paris lui avait quand même préféré le sortant - ce qui avait provoqué la colère et la mise en congé de l'UMP de JF Le Grand. Il avait pris son mal en patience et a réussi enfin à s'implanter en 2008 : il ressort grand vainqueur des municipales, en participant sur la liste de Jacques Cocquelin, à la reprise de la ville de Valognes...Ce qui lui vaut non seulement un poste d'adjoint mais également la présidence de la communauté de communes de Valognes...Cela dit, il n'a pas du tout le même profil que les deux sortants UMP et peut être pénalisé par l'image du parisien-énarque ambitieux, trop peu implanté et mal accepté par les grands électeurs...
Surtout que bon nombre d'élus de droite sont alléchés par cette possibilité évidente de devenir sénateur : à commencer par un autre ancien énarque, qui a lui-même fait l'expérience d'un parachutage râté : je veux parler de l'ancien ministre Philippe Bas, chiraquien parachuté de façon rocambolesque sur la circonscription d'Avranches (permise par la nomination à la Cour des comptes du député UMP sortant René André - ce qui avait provoqué les réticences de Philippe Séguin), et qui s'était largement incliné face au maire DVD d'Avranches, Guenhael Huet...Il a depuis pris un peu de distance en cherchant à s'implanter localement, en gagnant difficilement le canton de Saint-Pois : cette nouvelle implantation pourrait l'aider chez les grands électeurs...Sinon, il paraitrait également que le maire UMP de Saint-Lo, François Digard, proche de JF Le Grand, serait intéressé par un poste de parlementaire...
Les candidats, ce n'est pas de toute façon ce qui manque chez les conseillers généraux UMP-DVD ou chez les maires...