de Genaro Flores » Mer 21 Oct 2020 21:32
LE MAS RETROUVE DES COULEURS DANS LES VILLES
Concernant les grandes villes de plus de 100 000 habitants, qu’évoque opportunément Fabien, elles n’ont jamais été des fiefs du MAS (Mouvement vers le socialisme). Mais c’est vraiment lors du référendum constitutionnel de 2016 puis de l’élection présidentielle de 2019, qu’elles témoignent d’une franche hostilité à l’égard du MAS, et plus encore d’Evo Morales.
Il y a cependant une exception notable : El Alto, jadis rattaché à La Paz avant de divorcer le 6 mars 1985, aujourd’hui la 2ème ville la plus peuplée (plus de 900 000 âmes en 2015) et la plus jeune du pays. Perchée à 4149 m d’altitude sur l’Altiplano où se trouve l’aéroport international, El Alto a la particularité d’abriter 70 % de migrants, accourus des campagnes dans l’espoir de meilleures conditions de vie. La plupart d’entre eux sont des indiens aymaras qui occupent le nord des hauts plateaux (départements de La Paz et Oruro).
Du coup, il n’est guère étonnant qu’El Alto soit devenu le bastion du MAS comme l’attestent les résultats suivants :
- Présidentielle de 2002 : 28 %.
- Présidentielle de 2005 : 77 %.
- Présidentielle de 2009 : 87 %.
- Présidentielle de 2014 : 72 %.
- Référendum constitutionnel de 2016 : 58 % de oui en faveur d’une candidature de Morales à la présidentielle de 2019, et ce pour la quatrième fois consécutive.
- Présidentielle de 2019 : 54 %.
- Présidentielle de 2020 : 77 %.
Malgré cette mainmise, le MAS n’en a pas moins subi un véritable camouflet aux élections subnationales de 2015 en perdant la mairie. Accusé de corruption, son candidat Edgar Patana a été battu à plate couture (32,34 %) par une éducatrice aymara en la personne de Soledad Chapeton, vice-présidente du parti de centre droit, le Front d’unité nationale (UN) (54,49 %).
Pour cette présidentielle de 2020, le MAS culmine à 76,80 %. Soit une très forte progression par rapport à 2016 et 2019. A vrai dire, il retrouve le niveau obtenu en 2005 lorsqu’il a accédé au pouvoir.
Au vu de ce raz-de-marée, Chapeton peut être inquiète pour sa réélection en 2026. En outre, Samuel Doria Medina, le président-fondateur de l’UN à compter de 2003, était à cette présidentielle le colistier de la cheffe d’Etat par intérim, Jeanine Anez. Une cheffe d’Etat détestée à El Alto où neuf manifestants pro-Morales ont été tués le 19 novembre 2019 par l’armée, à proximité de la raffinerie de Senkata qu’ils bloquaient, provoquant une importante pénurie de carburants sur l’aire métropolitaine de La Paz. Son bilan sera d’ailleurs accablant, hormis cependant l’excellente tenue du scrutin qu’elle a failli honorer en déclarant le 26 janvier sa candidature, et ce contrairement à sa promesse initiale de ne pas se présenter afin de garantir la neutralité de l’Etat. In fine, elle jettera piteusement l’éponge, le 17 septembre, en raison de sa médiocre 4ème place dans les sondages, estimée aux alentours de 7 %. Chapeton risque donc de traîner comme un boulet son soutien pour une femme en grande partie discréditée.
La maire sortante peut d’autant plus craindre ces municipales qu’elle risque d’affronter cette nouvelle figure du MAS qu’est Eva Copa, opposante n°1 à Anez en tant que présidente de la Chambre des sénateurs. La campagne s’annonce en tout cas palpitante entre ces deux femmes qui ont en commun leur lieu de naissance (El Alto), leur ethnie (aymara), enfin leur jeunesse (39 ans pour la maire sortante, 33 ans pour la prétendante).
Mais El Alto n’est pas l’unique grande ville où le MAS se refait une santé. En effet, pas moins de six villes de plus de 100 000 habitants sur les douze que totalise la Bolivie tombent dans l’escarcelle du MAS. Parmi elles, figurent Cochabamba (4ème ville) et Oruro (5ème ville), même si les chiffres ne sont pas comparables avec la déferlante que connaît El Alto :
- Cochabamba : 49,30 % (92,67 % des bulletins dépouillés).
Référendum constitutionnel de 2016 : 37,6 % de oui.
- Oruro : 52,29 % (résultat définitif).
Référendum constitutionnel de 2016 : 41,2 % de oui.
Par ailleurs, on observera le succès à l’arraché de Luis Arce à Montero, qui se permet le luxe de battre sur le fil Luis Fernando Camacho, et d’écraser Carlos Mesa dont le colistier Gustavo Pedraza est pourtant natif de cette cité, située à 48 km au nord de Santa Cruz.
Enfin, on soulignera la victoire sans surprise du MAS à Sacaba où 5 paysans masistes furent abattus par la police le 15 novembre 2019. Localisée à 13 km à l'est de Cochabamba, cette ville est la capitale de la province du Chapare, connue pour être le bastion du cocalero Morales, qui demeure encore le président de la Coordination des six fédérations du tropique de Cochabamba qu’il a pourtant fondée en... 1993 ! C’est également là qu’il a été élu pour la première fois député en 1997, sous la bannière de la Gauche unie, obtenant alors le score le plus élevé du pays, avec 61,8 %.
Sinon, Fabien met en exergue le conservatisme de ces grandes villes. De manière générale, elles sont en effet orientées au centre et à droite. Et le ras-le-bol grandissant envers la personnalité de Morales, comme le démontrent les résultats de 2016 et 2019, ne fera que réduire le MAS à la portion congrue.
Néanmoins, l’électorat urbain qui vote Mesa ne se distingue pas seulement par son tropisme droitier. Il comprend aussi des franges non négligeables de militants ou de sympathisants de gauche. Certains, et j’en connais personnellement, n’ont pas hésité jadis à descendre dans les rues de La Paz, au péril de leur vie, pour s’opposer aux sanglants putschs militaires d’extrême droite, fomentés par Hugo Banzer (19-21 août 1971) et Alberto Natusch (1er-16 novembre 1979).
Des gens clairement de gauche qui n’ont plus supporté l’autoritarisme, la personnalisation du pouvoir, l’extractivisme forcené, la corruption généralisée, enfin la réélection indéfinie incarnés par Morales. Pour eux, son exil en Argentine, et donc son absence en Bolivie, ne change rien. Ils n’oublient pas en effet qu’il préside le MAS et qu’il a été, à l’occasion de ces élections générales, le directeur de campagne. Du coup, ils pensent qu’il continuera à diriger le pays en coulisse par le biais des deux hommes nouvellement élus qu’il a nommé seul, en l’occurrence Arce et l’Aymara David Choquehuanca. A contrario, ils appécient chez Mesa sa tolérance sur le plan sociétal où il s’est déclaré prêt à examiner la légalisation de l’avortement, du mariage homosexuel et du canabis. Autant de réformes que n’a pas osé entreprendre Morales, sans doute par... conservatisme (!), dans ce pays éminamment catholique.
RESULTATS DANS LES 12 VILLES DE PLUS DE 100 000 HABITANTS + LA VILLE DE COBIJA :
1ère ville : Santa Cruz de la Sierra (1 450 680 h. en 2018), capitale du département de Santa Cruz (Oriente).
Bulletins dépouillés : 99,94 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 51,54 %.
- Arce (MAS, gauche) : 29,16 %.
- Mesa (CC, centre) : 18,18 %.
- Chi (FPV, droite) : 0,92 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,20 %.
Référendum constitutionnel de 2016 : 35,6 % de oui en faveur d’une candidature de Morales à la présidentielle de 2019, et ce pour la quatrième fois consécutive.
2ème ville : El Alto (903 080 h. en 2015), département de La Paz (Altiplano).
- Arce (MAS, gauche) : 76,80 %.
- Mesa (CC, centre) : 20,26 %.
- Chi (FPV, droite) : 1,82 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,59 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 0,53 %.
Référendum constitutionnel de 2016 : 58 % de oui.
3ème ville : Notre-Dame de La Paz (764 617 h. en 2012), capitale administrative de la Bolivie et capitale du département de La Paz (Altiplano).
- Mesa (CC, centre) : 51,46 %.
- Arce (MAS, gauche) : 45,85 %.
- Chi (FPV, droite) : 1,31 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 0,96 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,42 %.
Référendum constitutionnel de 2016 : 41,4 % de oui.
4ème ville : Cochabamba (630 587 h en 2020), capitale du département de Cochabamba (Yungas).
- Arce (MAS, gauche) : 49,43 %.
- Mesa (CC, centre) : 47,66 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 1,58 %.
- Chi (FPV, droite) : 1,06 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,28 %.
Référendum constitutionnel de 2016 : 37,6 % de oui.
5ème ville : Oruro (264 683 h. en 2012), capitale du département d’Oruro (Altiplano).
- Arce (MAS, gauche) : 52,29 %.
- Mesa (CC, centre) : 43,47 %.
- Chi (FPV, droite) : 2,20 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 1,11 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,93 %.
Référendum constitutionnel de 2016 : 41,2 % de oui.
6ème ville : Sucre (237 480 h en 2012), capitale constitutionnelle de la Bolivie et capitale du département de Chuquisaca (Yungas).
- Mesa (CC, centre) : 61,29 %.
- Arce (MAS, gauche) : 33,78 %.
- Chi (FPV, droite) : 2,23 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 1,94 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,67 %.
Référendum constitutionnel de 2016 : 27,7 % de oui.
7ème ville : Potosi (189 652 h. en 2012), capitale du département de Potosi (Altiplano).
- Mesa (CC, centre) : 69,46 %.
- Arce (MAS, gauche) : 21,79 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 5,50 %.
- Chi (FPV, droite) : 2,35 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,91 %.
Référendum constitutionnel de 2016 : 12,8 % de oui.
8ème ville : Tarija (179 528 h. en 2012), capitale du département de Tajira (Yungas).
- Mesa (CC, centre) : 58,46 %.
- Arce (MAS, gauche) : 34,06 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 4,60 %.
- Chi (FPV, droite) : 2,35 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,91 %.
Référendum constitutionnel de 2016 : 30,5 % de oui.
9ème ville : Sacaba (172 466 h. en 2012), département de Cochabamba (Yungas).
- Arce (MAS, gauche) : 61,86 %.
- Mesa (CC, centre) : 35,53 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 1,23 %.
- Chi (FPV, droite) : 1,12 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,26 %.
10ème ville : Quillacollo (131 606 h. en 2012), département de Cochabamba (Yungas).
- Arce (MAS, gauche) : 58,65 %.
- Mesa (CC, centre) : 38,35 %.
- Chi (FPV, droite) : 1,41 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 1,24 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,35 %.
11ème ville : Montero (112 837 h. en 2012), département de Santa Cruz (Oriente).
- Arce (MAS, gauche) : 43,87 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 41,49 %.
- Mesa (CC, centre) : 13,09 %.
- Chi (FPV, droite) : 1,31 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,23 %.
12ème ville : Trinidad (101 454 h. en 2012), capitale du département du Béni (Oriente).
- Mesa (CC, centre) : 47,32 %.
- Arce (MAS, gauche) : 28,89 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 21,86 %.
- Chi (FPV, droite) : 1,61 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,29 %.
Référendum constitutionnel de 2016 : 32,1 % de oui.
20ème ville : Cobija (42 849 h. en 2012), capitale du département de Pando (Oriente).
- Arce (MAS, gauche) : 39,28 %.
- Mesa (CC, centre) : 30,24 %.
- Camacho (Creemos, droite) : 27,83 %.
- Chi (FPV, droite) : 2,40 %.
- Mamani (PAN-BOL, centre droit) : 0,25 %.
Référendum constitutionnel de 2016 : 37,2 % de oui.
Dernière édition par
Genaro Flores le Sam 24 Oct 2020 08:52, édité 5 fois.