de vudeloin » Mar 14 Aoû 2012 01:16
L'information rapportée par Jean Philippe est l'occasion de faire un peu le point sur la situation troublée de la Tunisie, une dizaine de mois après les élections ayant suivi la chute de Ben Ali et le succès (relatif) des islamistes d'Ennadha lors de ce scrutin.
D'une part, faisons le point vis à vis des votes obtenus effectivement par les différents mouvements politiques de l'Assemblée Nationale Constituante.
Electorat potentiel : 8 289 924
Votants 4 308 888, soit environ 52 % (51,97 %)
Exprimés 4 053 148
Ennadha 1 501 320, soit 37,04 %, 89 élus
Congrès Pour la République (parti du Président Moncef Marzouki) 353 041 voix, soit 8,71 %, 29 élus
Pétition populaire (parti du milliardaire de la TV câblée Hechmi Hamdi) 273 362 voix, soit 6,74 % et 26 élus
Ettakatol (parti social démocrate du Président de l'Assemblée Mohamed Ben Jafar) 284 989 voix, soit 7,03 %, et 20 élus
Parti Démocrate Progressiste (PDP, leader Maya Jribi) 159 826 voix, soit 3,94 % et 16 élus
L'initiative (parti des destouriens et RCD repentis, mené par Kamel Morjane) 129 120 voix, soit 3,19 % et 5 élus
Pôle Démocrate Moderniste (constitué surtout autour de l'ex PCT, Ettajdid) 113 005 voix, soit 2,79 % et 5 élus
Afek Tounes (parti centriste), 76 488 voix, 1,89 % et 4 élus
Parti communiste des Ouvriers de Tunisie (parti de Hamma Hammami), 63 652 voix, soit 1,57 % et 3 élus
Union Patriotique Libre (centriste et liée à la Libye), 51 665 voix, soit 1,26 % et 1 élu.
Je n'ai ici indiqué que les partis dont l'influence a dépassé un pour cent des suffrages sans revenir sur le MDS (2 élus), ancien parti du dissident du Destour Mohamed Mestiri, le Mouvement populaire (2 élus) et les 15 élus d'autres partis locaux ou régionaux.
On notera aussi que 1 290 293 électeurs, soit près de 32 % des exprimés, ont voté pour des partis qui n'ont pas obtenu de représentation.
Ensuite, le climat politique local est marqué à la fois par les tensions (notamment Ennadha dont les responsables montrent de plus en plus leur véritable visage face aux partis sécularistes), le retard pris dans la rédaction du texte constitutionnel et le probable report des futures élections, une fois ce texte acquis.
L'autre paramètre, c'est évidemment que les partis politiques tunisiens sont en phase de reclassement, chacun des courants d'opinion se structurant dans la perspective des échéances électorales futures.
Ainsi, si Moncef Merzouki et Mohamed Ben Jafar font preuve pour l'heure de tout leur « savoir faire « pour que la troïka institutionnelle fonctionne à peu près (Ettakatol à la présidence de l'Assemblée, le CPR à celle de la République et Ennadha au poste de Premier Ministre), deux mouvements ont d'ores et déjà émergé.
D'une part, le parti de la République (Hizb Al Jumhuria), constitué à partir du PDP de Maya Jribi, devenue d'ailleurs Secrétaire générale du Nouveau parti, d'Afek Tounes, du parti républicain et d'autres forces.
Constitué en avril lors d'un congrès fondateur à Sousse, le Parti de la République peut compter sur 13 députés au sein de l'Assemblée, neuf des élus du PDP ayant finalement décidé de ne pas suivre Maya Jribi et Ahmed Néjib Chebbi dans ce qui peut être considéré comme une forme de « recentrage » du PDP.
Les neuf élus du PDP dissidents, dont Mohamed Hamdi, président du groupe parlementaire, entendent constituer éventuellement une alliance avec les dissidents du CPR ou d'Ettakatol qui seraient en désaccord avec la ligne de « dialogue » avec Ennadha.
D'autre part, a été lancé au mois de juillet le parti Appel pour la Tunisie par Beji Caid Essebsi, dernier Premier Ministre avant les élections, ancien Ministre de l'époque de Bourguiba ( il est âgé de 86 ans...) et avocat au barreau de Tunis.
Le parti, dans la situation de marasme économique du pays, semble pouvoir rassembler largement, même s'il ne compte pour l'heure que sur deux députés issus de la Pétition populaire qui viennent de s'y rallier.
Et surtout il offre une sorte « d'arrière boutique » aux anciens membres du Destour comme du RCD pour revenir éventuellement au pouvoir, d'autant que, pour l'heure, ce sont des personnalités plutôt marquées « à gauche « , issues notamment du mouvement syndical, qui exercent des responsabilités au sein du mouvement.
L'alliance dite de Front Populaire de Hamma Hammami regroupe pour l'heure l'ex PCOT (3 élus à l'ANC), le Parti de l'Action nationale démocrate, le Mouvement des patriotes démocrates (1 élu à l'ANC, scission antérieure du PCOT), le Parti du Leadership arabe démocratique, le mouvement « al Baath », le mouvement « Achaab », la Ligue des travailleurs de gauche, le parti Tunisie Verte, le Front Populaire unioniste, le Parti populaire pour la liberté et le progrès, le Parti du militantisme progressiste.
La plupart de ces partis et mouvements appartiennent à la myriade des forces politiques émergées après la chute de Ben Ali sans obtenir le succès requis le 23 octobre dernier et se situent dans un arc politique allant des partis membres de la Quatrième internationale (c'était le cas du PCOT originel) d'inspiration trotskiste aux mouvements panarabistes à visée socialiste en passant par une ou deux mouvances issues du PC Tunisien.
Ceci dit, même si l'image publique de Hamma Hammami progresse dans l'opinion, en cas d'élection présidentielle, Moncef Marzouki serait pour le moment le candidat le plus sûr d'arriver en bonne position.
De fait, peu à peu, se met en place un paysage politique quelque peu rationalisé, avec une gauche un peu moins dispersée (il y a encore à faire ceci dit, vu que les différents mouvements issus du PCT font pour l'heure des choix différents), un centre gauche de plus en plus institutionnel autour du CPR, du Parti de la République et d'Ettakatol, une mouvance islamique organisée par Ennadha et une tendance de centre droit libéral que l'Appel pour la Tunisie de Caid Essebsi semble appelé à incarner plus sûrement que le mouvement de Kamel Morjane et l'improbable Pétition de Hechmi Hamdi.