de vudeloin » Mar 27 Sep 2011 21:31
On peut toujours se perdre en conjectures sur le pourquoi et le comment des choses, mais force est de constater qu’il est sans doute difficile d’envisager une seule motivation qui ait pu conduire à l’échec magistral de la droite aux sénatoriales de dimanche dernier.
En la matière, je crois plus à une sorte de mille feuilles de raisons et de causes, une sorte de conjonction non pas céleste mais presque de facteurs qui, conjugués et dynamisés, ont fini par produire l’effet constaté.
Premier aspect : l’ensemble des réformes touchant les collectivités locales, singulièrement depuis 2007, qui a agi par sédimentation des mécontentements.
On peut ainsi citer la réforme de la Poste, qui n’a jamais été comprise dans le monde rural et dont on sait qu’elle avait fait l’objet d’une votation citoyenne dont la portée et l’impact avaient surpris même les organisateurs ( syndicats ouvriers et organisations politiques de gauche notamment ).
Pour donner un exemple précis, on avait enregistré en Lozère une participation de près de 7 000 électeurs ( un habitant sur 10 ) dans un des départements où nous avons vu quel résultat cela pouvait entraîner.
On peut aussi citer cette position dogmatique du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite dont nombre d’élus locaux, singulièrement dans les campagnes et les pays ruraux, ont pu constater les effets qui sur la fermeture de l’école ou la remise en cause du regroupement pédagogique intercommunal, qui sur celle de la perception ou de la subdivision de la DDE ( là s’ajoutant les effets du transfert des personnels aux départements ) et j’en passe…
N’oublions pas plus la réforme de l’hôpital qui a provoqué, notamment dans les départements à dominante rurale, des fermetures de services présentés comme insuffisamment actifs, ou encore des transformations d’établissements à vocation généraliste en simples maisons de retraite ou hôpitaux dits de moyen et long séjour.
Ensuite, il y a la réforme des finances locales, singulièrement avec la disparition de la taxe professionnelle, et son remplacement par la contribution économique territoriale dont les élus locaux se sont déjà rendu compte qu’elle ne constituait pas l’outil adapté pour cela, bien au contraire.
Il faut dire qu’un impôt fondé sur le retour de l’antique patente et un complément de TVA prélevé au niveau national, cela n’a pas beaucoup de viabilité et de fiabilité…
Et puis la réforme des collectivités territoriales, véritable hydre de Lerne, dont les incidences sont systémiques, et qui met en cause l’existence des communes, des régions et des départements, la réalité de la compétence des élus, l’organisation territoriale du pays et ainsi de suite.
Le caractère comminatoire des nouveaux schémas de coopération intercommunale a fini par conforter un certain nombre d’élus, souvent issus de petites communes, des campagnes, des bourgs et villages, dans leur volonté de refus et de ne pas voter en faveur des candidats pour lesquels on pensait qu’ils voteraient, comme toujours…
Ajoutez à cela le climat des affaires, entre Clearstream et Karachi, et vous tenez une bonne part du résultat de dimanche dernier.
Ceci dit, s’arrêter à ces considérations ne fait pas forcément le compte.
Car il faut bien revenir sur quelques uns des motifs, d’ordre sociologique et politique, qui ont conduit à cette situation.
D’abord, les élections de 2008, plus que toute autre consultation, qui ont profondément modifié la composition des équipes municipales.
Réglons d’emblée une question qui interpellait il y a peu encore pierrep ou Jean Philippe : dans nos mécomptes d’apothicaire, nous avions tendance ( moi et d’autres, comme ligerien ou SALVAT ) à mettre en évidence la situation des plus grandes communes.
Une recherche avisée sur Internet ( il suffit par exemple d’aller chercher sur le site de Ouest France, une fois qu’on a fait l’âne sur Google ou n’importe quel moteur de recherche pour avoir des renseignements de qualité ) ou la collation de précieuses archives électorales facilitent le travail.
Et l’exploitation des sites des partis politiques, du site du Ministère de l’Intérieur ( notamment pour les cantonales et régionales ) complètent la documentation et permettent de donner quelques précieuses indications sur la réalité des rapports de forces ou en tout cas de leur virtualité.
Je n’ai jamais prétendu donner au chiffre près le résultat des élections de chaque département, mais juste offrir une indication sur les possibilités réelles des uns et des autres.
Bien sûr, sur Paris ou la petite couronne, les choses sont simples et l’on peut définir avec une marge d’erreur infime ou, pour le moins, très réduite, quel est le rapport de forces potentiel.
Que ce ne soit pas celui observé met en évidence à mon avis deux choses : d’une part, que la campagne électorale peut avoir un effet sur le comportement des électeurs et d’autre part, met en évidence que l’affaire peut aussi se régler « en coulisses « dans le cadre de transferts de voix inavouables et toujours faisables ; notamment dans un mode de scrutin où l’électorat à « faire bouger « est quand même assez réduit.
Si Philippe Dallier n’apporte pas, contre les consignes de l’UMP nationale, le moindre concours au Nouveau centre en Seine Saint Denis, Vincent Capo Canellas reste seulement maire et conseiller général du Bourget.
Et si Manuel Valls n’organise pas le siphonnage des voix socialistes ( peut être pour des motifs obscurs de primaires et de courants du PS en compétition ) dans l’Essonne, Michel Berson n’est jamais élu et Bernard Vera remplace Marcel Dassault au Sénat.
Surtout que la répartition des votes a été au-delà du nécessaire pour un siège sur la liste Berson, au dessous de l’indispensable pour aller jusqu’au deuxième ( objectif inavoué ) et, dans les deux cas, suffisante pour faire tomber à 2 les élus de la liste d’Union de la Gauche.
300 suffrages auraient suffi à élire Berson et 893 auraient permis à Bernard Vera d’être élu.
Puisque la moyenne de la liste d’Union aurait été de 297,7 voix au troisième élu et celle de Dassault serait restée de 294.
L’importance des votes ainsi transférés accuse d’ailleurs les auteurs de la manipulation : l’excès dans le nombre de voix ainsi déplacé caractérise en effet nettement que « cela ne s’est pas fait tout seul «.
Revenons au cas général et notamment aux estimations que nous avions pu produire dans les départements à dominante rurale.
Parce qu’évidemment la fiabilité des estimations vient aussi du fait que nous avons une part plus ou moins importante de l’électorat sénatorial dont nous pouvons « identifier « la qualité et la sensibilité.
Plus facile en Seine Saint Denis avec 40 communes élisant leurs conseils municipaux sur scrutin de liste à la proportionnelle que dans l’Oise ( 675 communes ), la Moselle ( 730 communes ), malgré la part de l’électorat rassemblée dans les villes.
Plus facile, au regard de l’Oise et de la Moselle, dans le Morbihan ou l’Indre et Loire et presque aussi complexe en Meurthe et Moselle et dans l’Isère.
Le nombre de communes compte évidemment et s’il n’y a que 261 communes en Morbihan pour des raisons historiques ( et notamment le fait que la région n’a été que tardivement rattachée à la France ), il y a aussi une part importante de l’électorat sénatorial qui y est aisément repérable.
Dans l’Aisne ( qui fut renouvelé en 2008 ) qui compte 13 communes de plus de 3 500 habitants et 803 de moins de 3 500 habitants, vous imaginez que l’estimation est plus « délicate « à produire.
Après, comme je l’ai déjà fait, l’avantage, si l’on peut dire, de connaître la situation des grandes villes et de comparer avec les résultats atteints permet de produire une estimation sur le vote des plus petites communes.
Prenons la Seine et Marne.
Dans un message daté du 28 juillet dernier, j’avais donné une estimation du rapport des forces dans les communes de plus de 3 500 habitants.
Elle donnait 682 voix à la droite, 220 au centre et 854 à la gauche.
Cette totalisation, soulignons le, ne comportait aucun suffrage FN affiché.
Et les grands élus comportaient 39 voix à gauche ( ce qui porte le tout à 893 ), 36 à droite ( total 718 ) et 1 au centre ( total 221 ).
Et, ce dimanche, nous avons eu, dans l’hypothèse où aucune voix n’aurait manqué dans les villes, les résultats suivants
Gauche : 1284 + 4, soit 1 288 voix.
Ce qui veut dire que 395 électeurs venus de petites communes ont voté à gauche, au moins.
Centre : 330 + 122 + 28 ( liste CAP 21 ), soit au total 480 voix, ce qui semble vouloir dire que 259 voix sont allées au centre dans les petites communes, même s’il est probable que des voix que nous avions classées à droite ont voté Jego, Ruffin ou Cap 21.
Droite et extrême droite : 1 146 + 64, soit au total 1 210 voix.
Ce qui semble vouloir limiter à 492 le nombre de voix pour la droite et l’extrême droite dans les petites communes du département.
En clair, l’UMP a perdu la majorité absolue dans les communes et que 5 à 6 % des élus des petites communes ont même préféré voter FN…
Cette situation amène naturellement à la question clé.
Celle de la sociologie des élus locaux profondément évolutive depuis plusieurs renouvellements municipaux.
Nous avons apparemment un recul des agriculteurs en activité ou retraités, l’irruption de couches nouvelles salariées au sein des équipes municipales, y compris lorsque ces équipes sont composées de gens de sensibilités diverses, et une sociologie qui, de manière générale, « suit « en fait le mouvement de « rurbanisation « que connaît la campagne française depuis quelques années.
Je me souviendrai toujours, personnellement, d’un village pyrénéen où j’avais été passer des vacances il y a vingt ans et dont le conseil municipal était à l’époque dominé par deux ou trois familles d’agriculteurs exploitants.
J’avais parlé de tout cela avec un conseiller municipal qui était, pour sa part, fonctionnaire du Trésor public et qui avait été élu, notamment parce qu’il fallait compléter la liste avec toutes les « bonnes volontés « disponibles.
J’ai téléchargé en 2008 le trombinoscope des maires de ce département pyrénéen sur le site d’un quotidien régional.
Mon fonctionnaire du Trésor était désormais retraité mais il avait aussi changé de statut : c’était lui, en 2008, le Maire de ce village.
Je ne pense pas que cela soit un cas isolé, d’autant que les élections 2001 et 2008, au plan municipal, ont marqué, dans nombre de villages de France, une modification sensible de la qualité des élus et un profond renouvellement des cadres.
Notamment pour des affaires de génération, entre autres la fin de carrière, si l’on peut dire, des maires de gauche élus de 1977 et dont la succession, dans le contexte de 2001, ne fut pas toujours aisée.
Mais aussi parce que les fonctions de maire ou d’élu municipal se sont quelque peu « technicisées « et que les tâches à accomplir sont de plus en plus complexes et prenantes.
Dans un contexte où il ne faut, en même temps, jamais oublier que les deux tiers des élus de notre pays, parce qu’ils ne sont que conseillers municipaux, sont des bénévoles, dont la vie personnelle est exactement identique à celle de leurs administrés.
Les électeurs du Sénat, c’est spécial mais ce n’est pas forcément très différent du commun des mortels, si j’ose dire.
Dernier point : l’intercommunalité.
En 2011, cela fait déjà treize ans que la loi Chevènement sur l’intercommunalité a été adoptée.
Nous avons eu l’occasion de pointer comment, dans certains endroits du territoire, elle a beaucoup été conçue comme le moyen de grouper autour d’un projet collectif des communes de même sensibilité.
Mais le cas général veut que nous soyons en présence de structures plus « diverses « où les élus peuvent avoir presque toutes les étiquettes, où la confrontation politique directe n’est pas forcément de mise, etc, etc…
Maurice Leroy, par exemple, a aussi perdu dans le Loir et Cher parce qu’il, lui et ses affidés, une conception de l’intercommunalité discriminatoire, favorisant les élus dociles et pénalisant les récalcitrants.
Il suffit de voir comment Philippe Sartori, suppléant de Maurice Leroy lors de ces sénatoriales, fait tourner son EPCI pour s’en rendre compte !
A contrario, je pense que la manière dont Alain Bocquet mène sa barque dans le Nord, au sein de la Communauté d’agglomération de la Porte du Hainaut, ou Bernard Baudoux travaille avec les élus de sensibilité diverses sur la CA du Val de Sambre autour de Maubeuge ont pu participer du résultat obtenu par la liste conduite par Eric Bocquet et Michelle Demessine, malgré la présence de la dissidence d’Ivan Renar.
Et je pense qu’il serait trop long de citer l’ensemble des élus socialistes qui, dans une gestion avisée des structures intercommunales, ont pu aussi avoir l’oreille des élus présumés DVD ou modérés à l’occasion de ces sénatoriales.
Toujours est il que la pratique de l’intercommunalité a fait sentir ses effets dans les résultats et que la conception souvent caporalisée ou simplement négligente de la parole et des attentes des petites communes qui caractérise certaines structures a joué en défaveur de nombreux candidats de droite, notamment UMP.
L’image des élus UMP, profondément attachée au véritable repoussoir que constitue aujourd’hui la politique Sarkozy, s’est trouvée lourdement détériorée et cette détérioration a été amplifiée par ce que l’on a observé dans quelques endroits bien précis.
Parce que, franchement, dernier exemple, comment se fait il que Bruno Sido, ancien président de la FDSEA de Haute Marne, Président du conseil général, a été contraint à un second tour de sénatoriales, remporté par 402 voix contre 365 à son adversaire socialiste, alors même que Saint Dizier, Chaumont, Langres, Joinville ou encore Nogent en Bassigny sont toutes des communes gérées par l’UMP ou les divers droite ?