Election présidentielle 2023 en Turquie

[arthas]

N'ayant pas encore trouvé de sujet consacré à ce scrutin, je me lance.

L'élection présidentielle turque de 2023 est prévue pour se dérouler le 14 mai 2023, afin d'élire le président de la république de Turquie pour un mandat de cinq ans. Elle se déroulera en même temps que les élections législatives et appellera près de 60 millions d'électeurs aux urnes.

Le président sortant Recep Tayyip Erdoğan est candidat à sa réélection, malgré la limite fixée à deux mandats présidentiels inscrite dans la constitution. Le président sortant joue sur le fait qu'il a lui-même écourté son premier mandat d'un an-et-demi, pour pouvoir à présent en briguer un troisième, n'ayant pas atteint le maximum d'années correspondant à deux mandats. Il est à la tête d'une alliance populaire sortante représentée majoritairement par le Parti de la Justice et du Développement (AKP) et plus minoritairement par le Parti d'action nationaliste (MHP).

En face, une coalition exceptionnelle de six partis s'est rangée derrière Kemal Kılıçdaroğlu, représentant du Parti Républicain du Peuple (CHP). Il s'agit du parti historique fondé par Mustafa Kemal Atatürk en 1923.

Le Parti démocratique des peuples, qui avait rassemblé près de 10% des voix lors des deux précédentes élections présidentielles, a annoncé ne pas présenter de candidat. Représentant notamment la minorité kurde, il fait l'objet de lourdes répressions : ses deux coprésidents, une dizaine de députés et 6000 de ses membres ont été emprisonnés ; les maires issus de sa mouvance ont été destitués.

L'élection se déroule dans un contexte de crise économique et sociale interminable, marquée par une inflation galopante, et par un gros scandale plus récent de corruption et de laisser-faire dans le domaine de la construction et de l'immobilier, consécutif au séisme du 6 février 2023 qui a provoqué la mort de plus 45 000 personnes en Turquie.

[Stéphane]

A trois jours du scrutin, l'opposition à Recep Tayyip Erdoğan continue à se regrouper :

Muharrem Ince, un des quatre candidats à l’élection présidentielle turque du 14 mai, a annoncé, jeudi 11 mai, le retrait de sa candidature. Le chef du parti Memleket (Patrie) était crédité de 2 % à 4 % des intentions de vote dans les dernières enquêtes d’opinion.
Plusieurs cadres de son parti avaient démissionné ces derniers jours, s’inquiétant que la candidature de M. Ince empêche Kemal Kiliçdaroglu, principal candidat de l’opposition, de l’emporter contre le président Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans.

https://www.lemonde.fr/international/ar ... _3210.html

Cela suffira-t-il à détrôner l'indétrônable ?

[Eco92]

En tous cas le vote des turcs de la diaspora s'est achevé mardi avec 51% de participation, 6 points de plus qu'en 2018. Contrairement à d'autres pays, la diaspora turques n'est pas forcément plus progressiste, cela dépend en fait d'abord de la présence des kurdes dans ces diasporas (en France et en Allemagne Erdogan l'avait emporté par ex).

https://www.al-monitor.com/originals/20 ... -countries

Le dernier sondage Konda donne pour la première fois Kilicdaroglu nettement en avance à 49 % quand Erdogan est à 43. Cela reste dans la marge d'erreur au global.

[Eco92]

Et bien le dépouillement est en cours et c'est serré mais Erdogan est devant, cependant à 49 % donc sous la barre des 50% a priori... il reste 5 à 10% à dépouiller. Kilicdaroglu est donné entre 44 et 45 %.

[Anarkour]

Selon Anadolu, agence quasi officielle, il y aura un second tour :
Sur 99,38% d'urnes dépouillées, 88,84% de participation.
ERDOĞAN (AKP, MHP) : 49,42% (26 859 313)
KILIÇDAROĞLU (CHP, IYI, YSP) : 44,95% (24 430 618)
OĞAN (ATA) : 5,20% (2 824 118)
İNCE (MEM) : 0,43% (235 618)
https://secim.aa.com.tr/

Ogan est un ancien membre du parti MHP (extrême droite nationaliste, les loups gris) qui l'a quitté quand ce dernier à fait alliance avec Erdogan. Il fait bien mieux que prévu, sans doute récupère t-il les ultra kémalistes qui n'ont pas supporté le soutien des kurdes à Kiliçdaroglu. Ince était un peu sur le même positionnement, mais venant du CHP pour sa part, ses électeurs, n'aimant pas les deux candidats se sont réfugiés chez Mr Ogan.

Le second tour risque d'être très serré. le taux de participation touchant presque les 90%, les abstentionnistes, qui sont majoritairement dans les zones kurdes, ne pouvant que jouer à la marge.
Les reports de Mr Ogan sont dur à prévoir. Erdogan est tout de même bien parti.

Pour les législatives (600 députés) :
Sur 99,27% d'urnes dépouillées, 87,30% de participation.
AKP : 35,49% : 266
CHP : 25,38% : 169
YSP : 8,80% : 62
MHP : 10,06% : 50
IYI : 9,75% : 44
YR : 2,83% : 5
ZP : 2,25% : 0
TIP : 1,73% : 4
BBP : 0,99% : 0

Alliance populaire : 49,37% : 321
Alliance de la Nation : 35,12% : 213
Alliance du Travail et de la Liberté : 10,53% : 66

La coalition pro Erdogan remporte la majorité des sièges, ce qui ne va pas aider Mr Kiliçdaroglu dans sa campagne de second tour.

[pop03]

En dehors de la déroute des sondages pour cette élection, il faut aussi noter que le vote des turcs résidants à l'étranger a été encore très favorable à Erdogan.
Erdogan:
Belgique: 72.31% 61 435 voix
Autriche: 71.96% 44 455 voix
Pays-Bas: 68.41% 98 265 voix
Allemagne: 65.49% 475 593 voix
France: 64.76% 126 572 voix
Luxembourg: 59.19% 9 137 voix
Danemark: 58.23% 9 030 voix
C'est considérable. Cela correspond pour l'ensemble de ces états à 824 487 voix pour Erdogan en comparaison avec la 3ème province du pays (Izmir 964 470 voix).
C'est une particularité turque car dans l'écrasante majorité des autres pays comme la France, le vote est beaucoup moins conservateur entre ceux qui ont émigré que ceux du pays.

On peut probablement l'expliquer par la zone d'émigration plutôt en Anatolie Centrale favorable à Erdogan ce que je constate autour de moi. D'ailleurs, on soulignera l'exploit du Puy-de-Dôme avec 91.5% pour Erdogan.

Ce qui me surprend c'est de pouvoir voter pour un islamo-conservateur sur ses terres d'origne et ne pas vouloir le même bonheur où l'on vit en votant pour la gauche ou l'extrême gauche wokiste. Un lien avec le religieux comme on peut le voir à Grenoble?

[Eco92]

Ce qui me surprend c'est de pouvoir voter pour un islamo-conservateur sur ses terres d'origne et ne pas vouloir le même bonheur où l'on vit en votant pour la gauche ou l'extrême gauche wokiste. Un lien avec le religieux comme on peut le voir à Grenoble?

Ou peut-être que :
1/ Ces turcs vivant en France n'y votent pas (une partie n'a d'ailleurs pas la nationalité française)
2/ Qu'ils votent à droite (le Puy-de-Dômes n'étant pas d'extrême gauche, ça se tient).

Je n'ai pas vu d'analyse sur le vote des turcs binationaux aux élections françaises, en tous cas c'est sans doute plus subtil que parler "d'extrême gauche wokiste", aucune des grandes villes françaises n'étant gérée par l'extrême gauche, et le "wokisme" étant un concept fumeux revendiqué par personne en France, participant d'une panique morale classique. En tous les cas le maire de Grenoble est assez clair dans sa condamnation des politiques d'Erdogan, et notamment aussi dans la manière dont la France s'appuie sur lui pour bloquer des réfugiés...

Le sujet du vote des diasporas est intéressant mais comparer les votes semble complexe, il faudrait voir aussi où sont les plus grosses communautés kurdes, à Marseille en 2018 le candidat kurdes était en tête par exemple, mais Erdogan dominait ailleurs. Je doute que nous ayons des données absolument fiable mais j'imagine qu'un spécialiste des diasporas pourrait le faire. Je me souviens de candidats binationaux pro Erdogan, aux législatives je crois notamment à Srasbourg, ville à forte communauté turque, ça n'a pas été un succès.

[Stéphane]

Ce qui me surprend c'est de pouvoir voter pour un islamo-conservateur sur ses terres d'origne et ne pas vouloir le même bonheur où l'on vit en votant pour la gauche ou l'extrême gauche wokiste

1/ vous sous-entendez que les Turcs vivant en France votent aux élections françaises. Seuls les binationaux peuvent le faire, ce qui exclut de votre raisonnement une partie importante des Turcs vivant en France.
2/ quelles sont les études électorales qui vous permettent d'affirmer que les Turcs qui votent en France votent à gauche ? (Je vous laisse l'expression de gauche "wokiste", qui n'est qu'un élément de langage de la propagande d'extrême-droite)

[Anarkour]

Le vote plus ou moins fort pour Erdogan est souvent lié à la proportion de kurdes parmi les votants. Cette année, ces derniers ne se sont pas très fortement mobilisés pour le candidat CHP, alévi mais non kurde.
Les immigrés gardant le droit de vote turc sont souvent la première et un peu moins fortement la seconde génération. Dès la troisième la plupart sont français et vote en France.
Beaucoup d'expatriés turcs viennent en effet d’Anatolie centrale, bastion du conservatisme islamo-nationaliste. Ils s'agit principalement d'entrepreneurs (souvent dans le bâtiment), de classes moyennes inférieures, qui suivent d'autres membres de la famille élargit (ou voisins du village). Ce qui explique leurs implantations dans beaucoup de villes moyennes (type Quimper ou Avignon), qui construisent beaucoup de logements.
L'immigration pour raison politique est plus réduite, individuelle. Ils s'engagent beaucoup plus rapidement dans leur nouveau pays, avec une coupure beaucoup forte avec la Turquie.

Les expatriés ont souvent un souvenir un peu idéalisé de leur pays d'origine, comme les français de l'étranger qui votent REC...
Pour les turcs qui ont la double nationalité, les kurdes votent très fortement à gauche (plutôt EELV ou FI-PCF), quand les autres votent plutôt à droite. Venant de milieu d'entrepreneurs conservateurs, ils se retrouvent facilement dans toute les mouvances de droite et d'extrême droite.
Dans le sud, ils ont aucun problème avec le RN...
https://www.francebleu.fr/infos/politiq ... ue-8592833

[arthas]

Jusqu'à l'échéance électorale, on pouvait noter quelques similitudes entre l'élection présidentielle turque et les élections présidentielles récentes des Etats-Unis et du Brésil.

Le Président sortant semble usé par le pouvoir, même si cela allait davantage de soi dans le cas d'Erdogan, vu qu'il occupe les fonctions de Président ou de Premier Ministre depuis une vingtaine d'années. Et qu'il n'était même pas censé se représenter constitutionnellement parlant ...

Le Président sortant fait face à des difficultés économiques importantes + à une autre crise plus spécifique au pays. Dans le cas du Brésil et des USA, Bolsonaro et Trump était très critiqués sur leur gestion du covid, qui était encore fortement présent dans les esprits. Dans le cas de la Turquie, c'est la gestion et la part de l'Etat dans le tremblement de terre qui a causé des milliers de morts cet hiver.

L'opposant semble pouvoir apporter une vision politique nouvelle, voire un vent de fraîcheur démocratique, même s'il est encore plus âgé que le Président sortant + présent en politique depuis encore plus longtemps aussi (comme Biden et Lula).

L'opposant est en rupture avec la politique du Président sortant et se trouve soutenu par une coalition assez importante d'autres opposants, mais il a quand même du mal à proposer un vrai projet politique/sociétal. Du coup, il est surtout très haut dans les sondages parce qu'il bénéficie d'un vote protestataire et d'un ras-le-bol des autres courants d'opposition habituels vis-à-vis du Président sortant.

Enfin, les sondages donnent régulièrement le Président sortant deuxième au premier tour et battu au second (lorsqu'il peut y en avoir un comme au Brésil), sans qu'une victoire à majorité absolue soit le scénario le plus probable. Le Président sortant semble rattraper un peu son retard dans les derniers jours de campagne, rendant incertaines les prévisions.

Le scrutin aura néanmoins rendu un verdict différent, avec cette fois un Président qui parvient à redresser complètement la barre au premier tour et à se positionner en tête des suffrages.