Elections en Libye

[vudeloin]

Comme il convient tout de même d'ouvrir ce fil de discussion (en attendant que les éléments fournis par la presse internationale nous permettent de nous faire un avis sur la question), quelques éléments sur ces élections en Libye, manifestement marquées par des événements fort divers...
Qu'on ne s'y trompe pas : ces élections ont, de par la présence d'observateurs étrangers (notamment de l'UE, menés par Alexandre comte von Lambsdorff), une particularité.
Ce sont les premières jamais organisées en Libye avec la présence de partis et groupements politiques clairement constitués et reconnus.
200 sièges à pourvoir, dont 100 pour la Tripolitaine, 60 pour la Cyrénaïque (c'est l'un des problèmes) et 40 pour le Fezzan (Sud), dont 80 réservés aux partis politiques, à raison, probablement, de 40 pour l'Ouest, 24 pour l'Est et 16 pour le Sud, et 120 à de multiples candidats indépendants, en fait soutenus par les principaux partis.

La loi électorale réserve par principe 10 % des sièges aux femmes dans le Parlement qui sera élu (encore faut il qu'elles soient élues, ce qui n'a pas été vraiment le cas lors du test des municipales de Benghazi au mois de mai) et trois forces politiques semblent devoir se détacher.

D'une part, l'union des forces nationales (Tahalouf al quwa al wataniyya), mouvement libéral et musulman, dirigé par Mahmoud Jibril, partisan d'une certaine "ouverture" économique ; d'autre part le Parti de la Justice et de la Construction (Hizb al adala wal Bina), bras politique des Frères Musulmans et le Parti de la Mère Patrie ou de la Nation (Hizb Al Watan), d'inspiration salafiste...

Selon les premiers éléments disponibles, ce serait l'Union libérale qui se positionnerait en tête, notamment dans les villes de l'Ouest...

A suivre

[alamo]

les Libyens ont donc le choix entre des islamistes, des islamistes et des islamistes.
pauvres Libyennes...

ou comment raser un pays en le ramenant au moyen-âge (on ne nous donnera jamais le bilan en vies humaines des bombardements, français notamment, sur les villes de LIbye), pour donner la mainmise des puit de pétrole libyens à la compagnie pétrolière du Qatar (dont la famille royale devrait être un bon client du cabinet d'avocats de N. Sarkozy dans les années qui viennent), en remplaçant un autocrate clownesque mais pratiquement inoffensif par ce qui va sans doute devenir la pire dictature religieuse de la planète.

je suis injuste, il n'y a pas que le pétrole, il fallait aussi faire disparaître un témoin gênant du financement de la campagne électorale de sarkozy en 2007...

et on s'étonne que Russes et Chinois n'aient pas envie de voir remettre le couvert en Syrie...

[vudeloin]

Ceci dit, cela avance tout de même...
Parce que, du temps de la monarchie senoussiste (le Senoussisme étant à l'Islam ce que Mgr Lefebvre fut longtemps à Vatican II), les élections n'avaient lieu avec des bulletins sous enveloppe que dans les grandes villes...
Maintenant, le grand bonheur des Libyens, si se confirme le succès de l'Alliance constituée autour de Mahmoud Jibril (qui, en son temps, donna une inflexion libérale à la politique économique du régime Kadhafi), sera d'avoir choisi la sensibilité dont la raison d'être est de vendre au meilleur prix possible les entreprises publiques du pays (on peut se demander ce qu'il en reste) et les concessions d'exploitation des gisements de pétrole et de gaz.
Là dessus, je ne suis pas certain que la France ait forcément bien fait d'apporter son soutien à la révolte anti Kadhafi, parce que notre pétrolier national n'est pas forcément le mieux placé dans la course...

[alamo]

peut-on, vraiment d'ailleurs parler de "révolte" anti Khadafi ?

contrairement à la Tunisie ou à l'Egypte où effectivement la contestation est partie de la rue (quoi que l'on pense des résultats a posteriori), en Libye on a eu affaire à un coup d'Etat appuyé dès le départ par une armée étrangère (voire fomenté à l'étranger, d'après des organes de presse européens pointant les réunions des dirigeants du CNT avec nos barbouzes bien de chez nous dès octobre ou novembre 2010)

reien de spontané, rien de populaire, quelques provocations sanglantes (pendaison de policiers dans la pure tradition salafiste) destinées à provoquer une répression qui a d'ailleurs été très soft, par manque de moyens mais aussi parce qu le pouvoir avait senti le piège, et aussitôt un battage politico-médiatique dans quelques pays occidentaux, puis une résolution pseudo humanitaire passe-partout de l'ONU aussitôt dévoyée, et des milliers de tonnes de bombes déversées sur les populations (pour les protéger du grand méchant loup bin sûr)

c'est la méthode américaine depuis plus de deux siècles, mais avec une dimension nouvelle dans nos guerres modernes : on détruit surtout pour ouvrir des marchés de reconstruction (financés par l'aide internationale) aux entreprises qui financent les campagnes de nos dirigeants. La boucle est bouclée...

[vudeloin]

Faut croire que les dirigeants de la CIA lisent Derrida.

Mais, plus sérieusement, rien ne semble devoir préserver effectivement aujourd'hui la Libye d'être livrée en pâture à qui voudra, sans compter que la partition semble une hypothèse de plus en plus évidente...

[MiniM]

Sommes-nous vraiment obligé d'être soumis à toutes las affabulations d'alamo, qui voit le mal partout?

[alamo]

il n'y a pas d'affabulations là-dedans, cher MiniM. simplement il faut aller chercher les infos ailleurs que dans les interviews de BHL au Nouvel Obs. la presse étrangère n'a pas forcément toujours raison contre la nôtre, mais parfois elle est un peu plus impartiale concernant la politique française qu'elle ne l'est sans doute concernant son propre pays

ceci étant les images de la pendaison de deux policiers par les pacifiques manifestants, dès les premiers jours (février 2011), ont été montrées au journal de 20 h de France 2 ou France 3, il n'y a pas besoin d'aller chercher bien loin.

mais restons Français, je te conseille de lire le rapport de l'ancien Préfet Yves Bonnet, qui s'est rendu en Libye (pays qu'il connait bien depuis longtmps) au coeur de la tourmente (le rapport date de fin mai 2011), avec une délégation de personnalités françaises et étrangères (d'Algérie, de Belgique, de Bulgarie)

C'est une bonne introduction à l'histoire du pays et un témoignage intéressant (d'un haut fonctionnaire français, peu susceptible ni d'hostilité envers le pouvoir politique, ni de sympathie immodérée pour Khadafi et sa clique), sur ce qu'a été l'intervention en Libye.
facile à trouver sur Internet mais je le tiens à disposition, ainsi que d'autres textes sur le sujet.

Par ailleurs, quand je balance un commentaire sarcastique type campagne de sarkozy (n'est drôle que ce qui est excessif), je ne vais pas truffer le texte de smileys à la noix, je préfère tabler sur l'intelligence et le sens de l'humour du lecteur. parfois à tort sans doute, j'en suis désolé...

[MiniM]

Oh, je ne lis pas BHL et assez peu les médias français, en fait, car l'opinion y passe souvent avant les faits bruts, mais il me semble qu'affirmer que la population ne souhaitait pas le départ de Kadhafi n'est pas si évidente.

Qu'il y a eu nombre de débordements, des deux côtés, je suis tout à fait en accord, c'est d'ailleurs attendu, malheureusement, dans une guerre civile comme celle-ci. Une guerre propre et sans débordement, ça n'existe pas.

Là ou ça accroche, c'est que le CNT serait un pantin des États-Unis et que le but est de mettre la main sur les ressources naturelles. Soit, certains y ont pensé aux États-Unis, j'en suis sur, mais les vues ne sont probablement pas universelles là-haut.

Tant qu'au CNT, c'est clair, c'est simplement des gens qui voulaient le pouvoir et qui ont approché les puissances étrangères, pour s'assurer de soutien en cas de problème. Ils ne voulaient pas le pouvoir pour les mêmes raisons, évidemment. J'imagine certains pour des idéaux, d'autres pour le pouvoir, d'autres, évidemment, pour l'argent de l'étranger, d'autres, par pure vengeance contre Kadhafi.

Tout réduire à une motivation (souvent financière, avec vous) est fort probablement réducteur.

[alamo]

je n'ai pas dit que le CNT était un pantin des Etas-Unis, Obama a été pris de vitesse et a pris le train en marche. L'initiative a été française (je préfère dire sarkozyste)

j'ai juste dit que la méthode était calquée sur la politique de la canonnière pratiquée par les Etas-Unis depuis quasiment leur création.
Et ce qui en témoigne le mieux, ce sont les archives du Départemnt d'Etat américain et de la CIA, déclassifiées en général au bout de 50 ans et faisant donc l'objet de livres et articles (il n'y a pas plus paperassier et conservateur que les services secrets, en fait)

Mais Français et Britanniques, vieux empires coloniaux, n'ont pas attendu les Américains pour apprendre à monter des barbouzeries...

Le CNT, dès l'origine, était composé d'anciens dignitaires du régime de Khadafi éconduits (dont certains pour corruption), d'islamistes radicaux (la Cyrénaïque est le berceau de l'ancienne monarchie libyenne assise sur un secte islamique radicale), et de quelques (rares) démocrates (dont la seule femme) que l'on prenait soin de mettre en avant pour les médias occidentaux.
L'instauration de la charia était dans le programme du CNT depuis le l'origine.
Dès le début, il disposait d'armes de guerre lourdes et on était bel et bien dans une guerre civile (ou un coup d'Etat si l'on préfère), pas dans le monde merveilleux de Mickey avec des gentils et des méchants (comme en Côte d'Ivoire à la même époque)

Khadafi était honni comme mécréant par la population de Benghazi, soutenu en Tipolitaine et dans les tribus du Sud, la fable du méchant tyran qui "bombarde son propre peuple" (faux comme en attestent tous les satellites étrangers qui voient ça de haut, et les observateurs sur place), répétée comme un leitmotiv était totalement bidon.
En revanche, apparemment, ça ne pose pas problème de bombarder le peuple des autres.

ce matin, sur les images des bureaux de vote, toutes les femmes étaient voilées des pieds à la tête...

[vudeloin]

Le pays, à l'occasion de ces élections, a été découpé en treize districts électoraux, plus ou moins peuplés et étendus, regroupant au total un électorat de 2 865 937 personnes, dont 1 571 580 hommes et 1 294 357 femmes, les bureaux de vote étant constitués par genre.

Le pays s'est retrouvé couvert par 6 629 bureaux de vote, regroupés eux mêmes dans 1 548 centres de vote, le principe retenu étant, a priori, de regrouper quatre bureaux, en moyenne, par centre et de faire en sorte que chaque bureau regroupe de 400 à 450 électeurs.

Exceptions à ce principe : le district 3, constitué autour du centre ville de Benghazi, avec 839 bureaux de vote dans 174 centres, et accueillant au total 330 066 électeurs ; le district 11, riche de 1 627 bureaux et 277 centres, pour rien moins que 699 355 électeurs, structuré autour du centre ville de Tripoli et les districts 5, 6 et 7, comptant chacun moins de 100 000 électeurs et qui correspondent aux parties les plus étendues et dépeuplées du pays, à savoir le Sud et le désert libyque, dès le rivage des Syrtes.

Les districts sont donc les suivants : Tobrouk (district 1, 171 828 inscrits), Al Baida (district 2, 162 976 inscrits), Benghazi (district 3, 330 066 inscrits), Ajdabiya (district 4, 106 862 inscrits), Syrte (district 5, 74 474 inscrits), Sebha (district 6, 92 790 inscrits), Ubari (district 7, 90 225 inscrits, le seul où l'électorat féminin soit majoritaire dans le corps électoral), Gharyan (district 8, 243 193 inscrits), Misurata (district 9, 247 877 inscrits), Al Khoms (district 10, 161 658 inscrits), Tripoli (district 11, 699 355 inscrits), Al Azizia (district 12, 183 918 inscrits), Al Zawia (district 13, 300 715 inscrits).

Par district, nous avons la représentation suivante

Tobrouk : 5 élus sur liste, 6 au scrutin majoritaire
Al Baida : 5 élus sur liste, 6 au scrutin majoritaire
Benghazi : 11 élus sur liste, 15 au scrutin majoritaire dont 9 dans le centre ville de la « capitale » de la Cyrénaïque
Ajdabiya : 3 élus sur liste, 9 au scrutin majoritaire
Syrte : 4 élus sur liste, 5 au scrutin majoritaire
Sebha : 5 + 4 élus sur liste (9), 4 + 3 au scrutin majoritaire
Awbari : 4 + 3 élus sur liste (7), 4 + 4 au scrutin majoritaire
Gharyan : 17 élus au scrutin majoritaire
Misurata : 4 +3 élus sur liste (7), 5 + 4 au scrutin majoritaire
Al Khoms : 3 élus sur liste, 8 au scrutin majoritaire
Tripoli : 3 + 3 + 3 + 4 + 3 élus sur liste (16), 14 au scrutin majoritaire
Al Azizia : 3 élus sur liste, 6 au scrutin majoritaire
Al Zawia : 3 + 4 élus sur liste (7), 6 + 4 au scrutin majoritaire.

Si l'on prend le découpage historique de la Libye entre Tripolitaine, Fezzan et Cyrénaïque, on se retrouve avec une Tripolitaine disposant de 40 élus au scrutin de liste et 69 au scrutin majoritaire, le Fezzan ayant 16 élus sur liste et 15 au scrutin majoritaire, la Cyrénaïque devant se contenter de 24 élus sur liste et 36 au scrutin majoritaire.

Au plan administratif, la Libye est pour l'heure découpée en vingt deux entités, appelées shabiyat, dont les sept premières sont répartis dans les quatre premiers districts électoraux, les neuf suivantes (Tripolitaine) dans les districts 5, puis 8 à 13 et les six dernières (Fezzan) les districts électoraux 6 et 7 et une partie du 5.

Si l'on se fie au recensement de la population le plus récent (2006), on peut considérer la situation suivante

Le district 1 regroupe les shabiyat de Tobrouk et Derna (ce qui évoque la Seconde Guerre Mondiale de suite), avec plus de 340 000 habitants et 172 000 électeurs ; le district 2 regroupe les shabiyat d'Al Baida et d'El Marj, soit environ 390 000 habitants et 163 000 inscrits, le district 3, sur Benghazi, comptait donc plus de 670 000 habitants et abrite 330 000 électeurs, le district 4, groupant Adjabiya et Al Koufrah, comptait 227 000 résidents et donc, 107 000 inscrits, le district 5, 193 000 habitants et donc, environ 75 000 électeurs, le district 6, un peu plus de 202 000 habitants et 93 000 inscrits environ, le district 7, près de 180 000 résidents et un peu plus de 90 000 électeurs.

Plus près de Tripoli, le district 8 (Gharyan pour mémoire) regroupait un peu moins de 400 000 résidents en 2006 et donc, 243 000 électeurs ; le district 9 (Misurata), plus de 550 000 résidents, et donc un peu moins de 250 000 électeurs, le district 10 (Al Khoms), 432 000 résidents et un peu plus de 161 000 électeurs, le district 11 (Tripoli), 1 055 000 résidents et, donc, plus de 660 000 électeurs, le district 12 (Al Azizia), 453 000 résidents et 184 000 électeurs et le district 13 (Az Zawia), près de 580 000 résidents et 300 000 électeurs.

Les décalages doivent bien avoir une explication mais on notera surtout que les résultats ne parviennent qu'au compte gouttes pour le moment.