Rares sont les maires qui auront marqué autant leur ville d'une empreinte ineffaçable à l'image d'un Defferre à Marseille, des Médecin à Nice ou d'un chanoine Kir à Dijon.
Issu d'une famille modeste du Nivernais, là où la Loire, qu'il chérira tant, poursuit son long cours se heurtant aux obstacles argileux et sablonneux, Jean Royer est l'une des figures de la méritocratie à la française, symbole de cette promotion sociale attachée aux valeurs de la République et fièrement ancrée sur la référence "travail" que lui inculqueront son père employé de banque et ses grands parents artisans et commerçants. Arrivé en Touraine à l'âge de six ans, il poursuivra de brillantes études avant d'entrer à l'Ecole normale dont il sortira instituteur.
Après la guerre durant laquelle il ne manifestera pas son ralliement ni pour la résistance ni pour le ralliement à Vichy, il devient professeur au CEG Michelet de Tours. Surtout, il s'engage en politique, participe à l'aventure du R.P.F., devient délégué départemental d'Indre-et-Loire du mouvement et se présente aux législatives de 1951. De là date la rivalité qu'il entretiendra avec l'autre "homme fort" de la région, le conseiller de la République Michel Debré. Leurs stratégies électorales sont opposées. Le premier milite en faveur d'une ligne orthodoxe sans compromis avec les partis de la Quatrième République tandis que le second envisage une alliance avec les radicaux. De Gaulle tranche en faveur de Royer suscitant la rage de Debré qui vouera pour le futur maire de Tours une rancoeur tenace. Au final, la liste R.P.F., isolée et laminée par le système des apparentements, n'enverra aucun élu au Palais Bourbon.
Le retrait du Général de Gaulle du R.P.F., son éclatement lors du vote d'investiture de Pinay, puis au final sa mise en sommeil, éloigneront Royer un court instant de la vie politique avant son retour triomphal en 1958-1959. Emportant, coup après coup, le siège de député de la première circonscription d'Indre-et-Loire en novembre 1958, ainsi que la tête de la municipalité de Tours en mars 1959, il se déclare hors les partis et même contre toute structure partisane qui pourrait brider toute initiative et paralyser toute volonté politique. Ses campagnes électorales sauront traiter justement les problèmes propres à chaque catégorie sociale et professionnelle. Ses réunions publiques sont organisées à destination de groupes particuliers, les commerçants et artisans un jour, les ouvriers et employés l'autre. Il construit pas à pas son électorat qui lui sera fidèle plus de trente ans.
Son action municipale à la tête de la ville sera marquée par un travail urbanistique de grande ampleur. Tours s'étend, absorbe Saint-Symphorien et Sainte-Radegonde au Nord de la Loire, de nouveaux quartiers sont crées, la Loire bénéficie de travaux d'aménagement anti-inondations, la mixité sociale est favorisée dans le centre-ville, un centre universitaire s'implante, ... Toutefois, sa médiatisation au rang national naîtra à l'occasion de ses coups d'éclat et de sa lutte inlassable contre la pornographie et la dépravation des moeurs lui donnant l'image d'un homme austère, conservateur, une sorte de "père la pudeur", image souvent caricaturale qui lui collera à la peau. Sa nomination dans le gouvernement Messmer 2 d'avril 1973 en tant que ministre du Commerce et de l'Artisanat lui offrira l'occasion de faire voter une loi de soutien au commerce de proximité limitant l'ouverture des grandes surfaces.
Les présidentielles anticipées consécutives à la mort du Président Pompidou lui donneront l'espoir de consolider son image nationale. En vain. Démissionnaire de son poste de ministre des P.T.T., il annonce le 11 avril 1974 sa candidature à la présidence de la République. Voulant conduire une campagne "vigoureuse et ardente", libéré de toute contrainte gouvernementale mais disposant de moyens limités ("ce que nous n'aurons pas par la puissance matérielle, nous essaierons de le compenser par le rayonnement de la conviction", il espère profiter de son capital sympathie auprès des commerçants et artisans. Il exprime les peurs d'une petite bourgeoisie traditionnelle, provinciale, tout en dénonçant les grandes entreprises concentrées et la technocratie. Voulant "donner un coeur à la France", il veut inviter les Français à se rassembler autour d'un nouveau style d'action politique dans le respect des institutions et d'une organisation des rapports humains inspirés d'une véritable vie spirituelle et morale. Royer propose notamment une redistribution des compétences entre Etat central et collectivités territoriales, l'application d'une loi antitrust afin d'équilibrer les chances des P.M.E. ainsi qu'une politique familiale vigoureuse favorisant l'accueil de la vie.
La campagne électorale sera un véritable chemin de croix durant laquelle on ne retiendra que les perturbations de ses meetings. Les intentions de vote en sa faveur dégringolent. Il devient dans ses interventions la caricature de son propre personnage suscitant moqueries et rallieries. Ses soutiens sont marginaux et contribuent à le ramener en dehors de la droite classique : la Restauration nationale, mouvement royaliste qui a succédé à l'Action française, l'Oeuvre française de Pierre Sidos ou la Cité catholique de l'intégriste Jean Ousset sont autant de boulets qu'il devra supporter. Le 5 mai 1974, il n'obtient que 3,17% des suffrages exprimés avec des pointes dans son Indre-et-Loire (33,80%) et les départements limotrophes. L'honneur est sauf. Toutefois, il faut se rendre à l'évidence que Royer échouera à s'imposer sur la scène politique nationale.
Le retour de Jean Royer à la vie locale se fera sans difficultés. Durant les décennies 70 et 80, il confirme ses positions à Tours et en Indre-et-Loire. Les résultats de sa liste "Rassemblement pour la Touraine" aux législatives de 1986 confirment sa popularité avec plus de 32% dépassant nettement la liste R.P.R.-U.D.F. conduite par Bernard Debré en qui certains commentateurs politiques voient le commanditaire de son père pour régler une rancune vieille de trente ans.
Malgré ce succès apparent, apparaissent en filigrane les signes d'usure de son électorat classique. Le centre-ville bourgeois de Tours lui apporte certes un soutien massif. Mais, ce quartier vieillit et se dépeuple au profit de la périphérie où le vote de gauche est solide. Aux législatives de 1981, Royer échappe de justesse à la vague rose. Des scrutins municipaux de 1977 à 1983, il perd 20 à 25 points dans les quartiers populaires et chez les classes moyennes. Au milieu des années 80, il songe à sa succession et promeut son premier adjoint, Michel Trochu, un jeune professeur de droit. Les affiches de campagne les présentent à surfacent égale et côte-à -côte.L e passage de témoin devrait se faire aux municipales de 1989. La gestion de l'avenir semble donc définitivement réglée.
Oui ... mais il décide de se représenter aux municipales de mars 1989. Réélu dès le premier tour avec 52% des voix, il est loin de de ses scores d'antan. Michel Trochu s'impatiente. L'action municipale perd en dynamisme et en ambition. Les projets urbanistiques s'embourbent. Les travaux gênent de plus en plus les riverains Pis encore, la situation financière de la ville se dégrade avec les coût exorbitant du Palais des Congrès et le sauvetage de l'équipe locale de football.
Jean Royer repart en 1995 pour un septième mandat. Il a face à lui une gauche divisée. Surtout, Michel Trochu, las d'attendre, franchit le pas. Il prend la tête d'une liste R.P.R.. Le résultat final est connu. Une triangulaire sera fatale au maire sortant. Son retrait de la vie politique se fera progressivement. Profondément et personnellement affecté par un échec qu'il n'envisageait nullement même à la dernière minute de la campagne, il renoncera à siéger au conseil municipal. Deux ans plus tard, il abandonne son mandat de député, de force diront certains, sous la pression des appareils nationaux. L'un de ses derniers actes politiques sera le soutien de la candidature de Jean-Pierre Chevènement.
Un dossier de la Nouvelle République retrace sur plusieurs pages sa carrière politique.
http://www.lanouvellerepublique.fr/extension/pages/images/dossiers_actu/disparition_royer/special_jean_royer.pdf