manudu83 a écrit:Il faut dire que Corbyn fait une campagne calamiteuse, il s'obstine a faire une campagne centrée sur l'économie et le social alors que le seul sujet interessant l'électorat c'est le brexit.
Je pense que c'est une présentation un peu faussée de la campagne et de ses dynamiques jusqu'à maintenant.
Le sondage mettant les Conservateurs à 47% et le Labour à 28% inquiète très fortement les militants travaillistes (et il y a de quoi !), mais il s'agit surtout un outlier pour l'instant.
Au niveau de la campagne, on assiste à une (tentative de) redite de 2017. Boris Johnson fait pratiquement exclusivement campagne sur le Brexit (comme Theresa May), Jeremy Corbyn tente de changer de sujet en parlant de NHS, de nationalisations et d'investissement public, Jo Swinson essaie de tout miser sur une position "plus-Remain-que-moi-tu-meurs" (ce qui était la tactique de Tim Farron avant qu'il ne se fasse rattraper par ses positions religieuses sur l'homosexualité).
En soit, la tactique de Jeremy Corbyn est exactement la même : la plateforme est un peu plus à gauche cette fois-ci, mais la rhétorique est très similaire à celle de 2017, ainsi que les moyens de campagne. Ce qu'il est intéressant de noter, c'est que beaucoup de députés travaillistes ont remarqué une forte augmentation du nombre de militants qui les aident à faire campagne dans leur circonscription par rapport à 2017 : il n'y a pas encore eu d'étude ou d'enquête sérieuse sur le sujet, mais j'attribuerais ce phénomène à une très bonne organisation militante de l'aile pro-Corbyn Momentum (qui s'est d'ailleurs ouverte à des activistes plus à la droite du parti), ainsi qu'à un sentiment du "c'est cette élection ou jamais" qui rend l'enjeu encore plus important...
Sur la question du Brexit, où le Labour est naturellement embêté (car en réalité il s'agit du parti le plus divisé sur la question), Corbyn a adopté probablement la meilleure stratégie qu'il pouvait : il a déclaré lors de l'émission Question Time spécial débat des leaders, vendredi dernier, qu'il demeurerait neutre dans un second référendum sur le Brexit (entre un deal qu'il aurait négocié lui-même, et l'option de rester dans l'UE). Les députés travaillistes, ainsi que les ministres du gouvernement, pourraient faire campagne et prendre position librement. Ce n'est certes pas une position idéale - le Brexit est évidemment le point faible du Labour - mais c'est probablement la position la plus propice à garder un maximum d'électeurs à opinions divergentes dans le cadre de l'élection générale.
Boris Johnson, quant à lui, essaie de faire campagne sur le Brexit comme l'avait fait Theresa May, tout en évitant les diverses erreurs de la campagne de 2017. Ainsi, il a mis un point d'orgue à signer la fin de l'austérité, et promet des investissements dans le NHS ainsi que des baisses d'impôt à tire-larigot. Il ne refera visiblement pas la même erreur qu'avait faite Theresa May avec la proposition de relégaliser la chasse au renard, ou la "dementia tax" qui avait fait grand bruit... Ce qu'il faut dire, c'est que cela a l'air de lui réussir pour l'instant: contrairement à Theresa May, qui partait d'un niveau déjà très haut (elle avait commencé la campagne à 45-50% des voix, pour finir à 43%), Boris Johnson avoisinait les 30-35% avant l'élection.
Or, contrairement à Theresa May qui est essentiellement restée stable pendant toute l'élection (en perdant quelques points au fur et à mesure, mais sans changement dramatique), Boris Johnson a connu une grande remontée : il est aujourd'hui autour de 42-43%. Il devrait s'inquiéter d'un point cependant : malgré cette remontada, si on compare à là où était Theresa May au même stade de l'élection en 2017 (2 semaines et demi avant la date fatidique), Boris Johnson est encore en-dessous : 43% contre 47%. La question pour lui est donc de savoir si cette dynamique favorable sera pérenne : ses diverses promesses de dépense publique et de baisse de taxes ne sont pas budgétisées (contrairement à celles du Labour !), et il risque à ce niveau-là de repousser le (petit) groupe des électeurs fiscalement conservateurs - alors même que les LibDems ont fait la promesse de dégager non pas un déficit, mais un surplus budgétaire, d'année en année. De plus, ses performances dans les divers débats télévisés sont au mieux assez médiocres - je vous conseille de les regarder, on est assez loin du grand orateur qui nous était promis (il semble que les audiences aient commencé à prendre l'habitude de lui rigoler très fortement au nez).
En somme, beaucoup prennent pour point de comparaison l'élection de 2017 - et les militants et dirigeants travaillistes comptent sur une remontada similaire pour élire Corbyn à 10 Downing Street. Il y a évidemment de nombreuses divergences : campagne conservatrice plus prudente (et très apeurée), retrait du Brexit Party dans les circonscriptions où un député conservateur est sortant, LibDems à un point de départ beaucoup plus haut (20% au lieu de ~10%), probable fatigue et perte de nouveauté du phénomène Corbyn, "Remain Alliance" entre candidats Verts, LibDems et Plaid Cymru (parti indépendantiste/régionaliste gallois) dans 60 circonscriptions, imminence du Brexit, etc.
Malgré toutes ces différences, la dynamique est étonnamment très similaire à celle de 2017 ! On observe bien une remontée du Labour qui est à chaque étape à un niveau et à une progression très similaires à 2017 (actuellement à 30%, ils sont exactement au niveau où ils étaient à la même époque en 2017), et une remontée certes inédite des conservateurs, mais qui ne les fait que retourner au niveau auquel ils étaient en 2017 (alors même qu'ils sont toujours à un niveau inférieur comparé à l'époque, même si la dynamique est plus favorable).
Étant donné la (très) grande variabilité des sondages britanniques selon les instituts, je vous conseille de suivre surtout cet agrégateur de sondages pour avoir une vue d'ensemble plus juste :
https://britainelects.newstatesman.com/ ... l=verified Enfin, pour illustrer mes propos sur la comparaison que je fais avec 2017, je vous propose ce graphique - où l'on voit bien que la différence essentielle à ce stade avec 2017 (au niveau purement sondagier, j'entends) est la performance plus basse des conservateurs, et plus haute des LibDems :