Le 28 mars, un projet de lutte contre la fraude fiscale a été présenté en conseil des ministres :
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018 ... rcredi.phphttps://www.economie.gouv.fr/gerald-dar ... de-fiscaleS'il est prévu de créer une police fiscale pour détecter et sanctionner les infractions, le "verrou de Bercy", c'est-à-dire l'autorisation de l'administration fiscale de lancer des poursuites en justice contre les fraudeurs, continue d'exister. Gérald Darmanin dit que ce verrou n'empêche pas les affaires les plus graves d'avoir des suites judiciaires,
ce qui est discutable. Une fois de plus, les gros poissons sont bien partis pour s'arranger à huis clos avec les services de Bercy sans se retrouver devant un juge. De plus, le Conseil d'Etat,
dans un avis publié le 22 mars, a émis des doutes sérieux sur l'efficacité de la fameuse police fiscale mise en avant dans la communication gouvernementale autour du projet de loi :
8. Au demeurant, le Conseil d’Etat observe que le nouveau service dont la création est envisagée aurait des compétences identiques à celles du service existant rattaché au ministère de l’intérieur, sans que le projet d’article ni, selon l’administration, aucun autre projet de texte ne vienne introduire des éléments de spécialisation. Le nouveau service serait donc concurrent du premier. Le Conseil d’Etat n’est, par conséquent, pas convaincu de la nécessité de créer un nouveau service d’enquête et n’a pas compris pourquoi dans un souci de bonne administration, n’était pas retenue l’option consistant à renforcer le service existant.
9. Dans son dernier état, l’étude d’impact du projet de loi, complétée à la demande du Conseil d’Etat, fait certes valoir que le service du ministère de l’intérieur intervient actuellement sur un champ d’enquête sensiblement plus large que les seuls dossiers de présomption caractérisée de fraude fiscale présentés par l’administration fiscale et que, d’une manière générale, la mobilisation des compétences techniques des officiers de police judiciaire et des agents de la direction des finances publiques mérite d’être réservée aux affaires comportant une dimension - par exemple en matière de corruption, d’escroquerie ou de crime organisé - autre que strictement limitée à la fraude fiscale et à son blanchiment. Elle estime que par suite, il est utile de donner aux parquets et, le cas échéant, aux juges d’instruction la possibilité d’orienter certaines affaires ne mettant en jeu a priori que des questions de technique fiscale vers un service plus particulièrement consacré à ces questions.
10. Le Conseil d’État estime cependant que la création d’un second service d’enquête judiciaire fiscale hors du ministère de l’intérieur ne serait pas conforme aux impératifs de bonne administration et susciterait de sérieux problèmes de concurrence entre services et de coordination de leurs interventions.
Bref, on aura un service concurrent de celui d'un autre ministère, sans la moindre valeur ajoutée. Et ça pose question sur la volonté réelle du gouvernement de lutter sérieusement contre la fraude fiscale. Pour Romaric Godin dans Mediapart, les choses sont très claires :
La réalité, c’est que le gouvernement n’a pas la fraude fiscale comme priorité, mais ce qu’il estime être la compétitivité. Et cette compétitivité passe, à son sens, par une complaisance envers les plus fortunés et les entreprises. C’est ici le sens du « plaider-coupable » et du maintien du verrou de Bercy : garder le contact avec les entreprises, maintenir la possibilité de négocier, ne jamais s’opposer ouvertement à elles. C’est aussi pour cette raison que cette loi évite le sujet autrement plus brûlant de l’optimisation fiscale légale et que, à Bruxelles, Paris freine pour que soit instaurée la présentation de résultats pays par pays. Le cœur de la politique économique du gouvernement est de protéger les entreprises et de leur donner plus de capacité de faire des profits. Toute la politique du gouvernement est contenue dans cet espoir un peu naïf que les entreprises, et surtout les plus grosses, rendront en emplois un peu de cette bienveillance gouvernementale.
Le gouvernement français s’achète donc à bon compte une conduite tout en préservant ce qui lui semble essentiel : ménager les entreprises et les plus fortunés. Devant le Sénat, ce mercredi 28 mars, Gérald Darmanin a commencé son intervention en expliquant que la première raison du rejet de l’impôt était qu’il était trop élevé. Rien n’est plus faux. En 2017, hors éléments exceptionnels et en intégrant les dépenses fiscales, l’impôt sur les sociétés (IS) a rapporté, avec une croissance quasi double, autant qu’en 2016. Et le gouvernement a encore versé en 2018 dans ce sens en donnant 4,5 milliards d’euros aux plus fortunés, en s’apprêtant à transformer le CICE en baisse de charges et en réduisant de huit points d’ici à 2022 le taux de l’IS. Le « trop d’impôts » dénoncé par Gérald Darmanin ne concerne pas ceux qui organisent des circuits d’optimisation ou de fraude fiscale, mais il est la conséquence de ces circuits auxquels s’ajoute la politique du « moins-disant fiscal » dans laquelle la France s’est plongée. Le gouvernement peut donner l’impression d’avoir raté une occasion avec ce texte, mais en réalité, il s’est contenté d’être cohérent et fidèle à lui-même.
SourceEtonnant, non ?