Mieux vaut tard que jamais, un petit bilan électoral de l'élection présidentielle US. Rendons à César ce qui est à César, mon analyse se base sur des éléments électoraux bruts, mais aussi de nombreux articles publiés sur l'excellent site de Larry Sabato, qui a déjà rendu tout un tas d'analyses pertinentes sur les résultats. Je remets donc le lien vers son site :
http://www.centerforpolitics.org/crystalball/Personnellement, quand je commence à me balader sur ce site, j'y reste parfois très longtemps à consulter les articles, souvent passionnants et intéressants. Vous êtes prévenus :). Je vous remets aussi un document utile qui compile de manière assez claire les résultats :
https://docs.google.com/spreadsheets/d/ ... w?sle=trueCe document reprend pour les swing states une définition assez commune, que je trouve assez satisfaisante, même si elle est toujours critiquable puisque cela reste un choix un peu arbitraire (et qu'on pourrait sans doute en faire un autre qui ne reprendrait du coup peut-être pas la même liste de swing states). Sont donc retenus comme swing states les états qui voient un écart entre les 2 principaux candidats inférieurs à 5 points (Arizona, Caroline du Nord), ou des états qui ont basculé par rapport à l'élection précédente (Ohio, Iowa...), les deux étant possibles pour un même état (Floride, Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin...).
Avant de commencer à analyser les résultats, arrêtons nous un instant sur cette liste.
Swing states : être ou ne pas être...Les grands classiques sont là (Floride, Ohio, Iowa, New Hampshire), les nouveaux classiques aussi (Caroline du Nord, Nevada), et les états potentiellement tangents du "mur bleu" que visait Trump également (Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin...).
On a par contre des états normalement moins attendus : l'Arizona et le Maine. Le premier est censé être un état rouge, le second un état bleu. Mais ils ont tous deux des éléments particuliers qui ont pris une résonance encore plus particulière avec l'affiche Clinton-Trump (on notera d'ailleurs un rapport de force assez proche dans les 2 états : Trump a 3.5 points d'avance sur Clinton en Arizona, dans le Maine Clinton a 3 points d'avance sur Trump). L'Arizona est de plus en plus urbanisé et latino, le Maine a un fond conservateur ancien, est très blanc et assez rural. On verra si cette entrée dans la zone swing state est un accident ou un début de tendance. A mon avis c'est bien un début de tendance dans les 2 cas, mais qui pourrait être moins marqué ou plus marqué avec des candidats moins clivants, ou au contraire plus atypiques.
On notera aussi des absents dans cette liste. C'est ce que j'appelle la frontière du swing state. Le Colorado se retrouve dans la liste de peu (4.9 points d'avance pour Clinton), et d'autres états n'y sont pas de peu (Géorgie : +5.2 pour Trump, Virginie : +5.3 pour Clinton). On est sur des états potentiellement swing states, mais dont le statut est limite. Je pense que la Virginie sort de plus en plus de cette zone, le Colorado aussi, et je pense que la Géorgie garde pour l'heure un penchant républicain. Mais rien n'est encore gravé dans le marbre concernant ces 3 états.
Quant au Nouveau-Mexique, je reste sur mon incompréhension quant au fait qu'il ait pu être considéré comme un swing state. Clinton y a plus de 8.2 points d'avance sur Trump, dans un contexte où les "petits" candidats réunissent plus de 11% sur leurs noms. Le Nouveau Mexique n'est plus un swing state, mais bien un état bleu.
Je ferai le même commentaire pour le Missouri : ce n'est plus un swing state mais un état rouge.
Passons désormais à la participation.
La participation : de grandes disparitésRappelons déjà qu'il est difficile d'avoir un chiffre précis concernant la participation aux USA (pour tout un tas de raisons, historiques, culturelles, pratiques...), notamment parce que là bas on tente d'établir ce taux par rapport à la population totale en âge de voter plutôt que par rapport au nombre d'inscrits. Mais même en essayant de rapporter ça aux inscrits, il est compliqué d'avoir ce chiffre (certains états communiquant mieux que d'autres sur le sujet). En 2008, la participation tournait autour de 61-63%. En 2012, elle était de l'ordre de 58-59%. En 2016, on est entre 56 et 58% (ce qui là aussi contredit un peu l'image d'une campagne mobilisatrice). On est plutôt sur une baisse, mais faire des comparaisons de participation globales par état seraient fastidieux et pas forcément très pertinent.
Je vais donc plutôt comparer ça en terme de suffrages exprimés. On a une hausse de 7 millions des suffrages exprimés par rapport à 2012, ce qui rapporté à la hausse des inscrits et de la population, est assez faible. Cela représente une hausse de 5.9% des exprimés par rapport à 2012.
Mais comme souvent avec la participation, on a des disparités immenses selon les états.
Comparatif swing states et non swing statesContrairement à ce qu'on entend dire parfois, la hausse des exprimés a été plus forte dans les non swing states (+6.4%) que dans les swing states (+4.8%). Le fait d'être dans un état à fort enjeu n'est donc pas une garantie de mobilisation supérieure.
On notera déjà que 5 états se distinguent par une baisse des exprimés : Iowa (-1%), Ohio (-1.5), Wisconsin (-3%), Hawaï (-1.3%) et Mississippi (-5.9%). Dans le cas du Wisconsin, la législature de l'état (républicaine) a fait voter avant l'élection des lois afin de compliquer l'inscription sur les listes électorales (en réclamant notamment des papiers d'identité récents). Ces lois ont eu pour effet de réduire les inscrits dans les zones les plus pauvres de l'état. A Hawaï, il y a sans doute eu en 2012 un effet Obama (il est né à Hawaï) qui ne s'est pas reproduit cette fois ci. Pour l'Iowa et l'Ohio, des zones démocrates ont été nettement moins civiques que 4 ans plus tôt. Pour le Mississipi je ne m'explique pas vraiment ce décrochage. J'ai essayé de trouver des chiffres actualisés concernant la démographie de l'état (peut-être cet état a t il connu une forte baisse de sa population ?). Mais je n'ai rien trouvé de probant (les derniers recensements de 2010 n'indiquaient pas de baisse, et je n'ai pas trouvé de chiffres plus récents).
Une forte hausse des exprimés dans les états latinosPour le reste, on notera au sein des swing states qu'il existe un vrai clivage au niveau hausse des exprimés entre les états fortement latinos et les autres. +11.9% pour l'Arizona, +11.2% pour la Floride, +10.9% pour le Nevada, +8.2% pour le Colorado. De l'autre côté, des états comme le Minnesota ou le Michigan voient les exprimés augmenter très peu (+0.3% pour le premier, +1.4% pour le second). On notera que cette forte hausse des exprimés se retrouve aussi dans les états latinos non swing states (+8.8% pour la Californie, +12.2% pour le Texas, seul le Nouveau-Mexique fait exception avec un maigre +1.9%).
Il est difficile de ne pas voir dans ces chiffres un effet Trump : beaucoup d'électeurs latinos se sont fortement mobilisés contre ce candidat clivant (à une exception notable sur laquelle on reviendra, la Floride). De même, il y a un swing state non latino qui se distingue par une participation supérieure à la moyenne, c'est la Pennsylvanie (sur laquelle je reviendrai également plus tard, car cet état offre aussi dans la carte des résultats des éléments très étonnants).
Des états rouges et bleus très civiques, et de plus en plus polarisésLà aussi, contrairement à ce qu'on pense parfois, l'affiche très clivante de cette année, a en fait fortement mobilisé les bases de chaque côté, dans des états déjà très polarisés. Ce qui a eu pour effet de les polariser encore plus. En clair, dans ces états, les abstentionnistes qui sont venus aux urnes sont des électeurs proches des partis dominants déjà en place, qui avaient tendance à ne pas se déplacer par sentiment que leur état était déjà acquis à leur cause. Cette année, le rejet du candidat d'en face les a incités à se mobiliser pour faire pencher encore un peu plus leurs états vers un camp. L'équipe bleue a ainsi obtenu des scores historiques dans des états comme le Massachussetts, Washington, la Californie ou D.C. Et l'équipe rouge a obtenu des scores canons dans des états comme les Dakota, le Montana, la VIrginie Occidentale et les états de la bible belt (à l'exception de la Géorgie). Seuls l'Utah et le Texas ne cadrent pas avec ça : dans le premier cas, c'est du à la relation très spécifique entre Trump et les Mormons, et dans le second cas c'est du à l'aspect très latino de l'état, qui a compensé très nettement son côté rural (lui aussi aura le droit à un traitement spécial pour les résultats).
Passons aux résultats en eux-mêmes.
Résultats globaux : entre permanence et changementsDes coalitions qui ne bougent pas...Comme déjà évoqué ici précédemment, pas de gros changements dans les coalitions :
- les jeunes, les femmes, les pauvres, les minorités et les urbains pour les démocrates
- les vieux, les hommes, les riches, les blancs et les ruraux pour les républicains
Dans bien des cas, les tendances se sont même accentuées : l'opposition urbain/rural est désormais massive entre des villes très bleues et des campagnes très rouges. Là aussi, Clinton a connu des scores historiques dans les grandes villes, et Trump des résultats impressionnants dans les comtés ruraux. Clinton parvient même à être en tête dans des comtés urbains d'états très rouges (notamment le comté de Salt Lake City), et Trump parvient à faire basculer les derniers comtés ruraux démocrates qui pouvaient subsister ici ou là .
Mais on notera que ce qui est certainement fatal à Clinton, c'est qu'elle ne retrouve pas complètement les voix des minorités d'Obama dans certains états clefs (les Noirs dans les Grands Lacs, les Latinos en Floride), et que si elle est dominante chez les femmes, elle est loin de l'être autant qu'attendu (Obama raflait 52% du vote féminin en 2012, Clinton 53% en 2016, et Trump reste en tête chez les électrices républicaines). Il ne semble pas que la féminité de la candidate démocrate ait eu une plus-value électorale en la matière.
... mais des changements notables.Côté démocrates, il y a une véritable percée dans les banlieues aisées (ce qui, aux États Unis est globalement un pléonasme : les pauvres vivent plutôt en centre ville, et les banlieues sont des zones concentrant les richesses), et plus largement auprès des blancs ayant un haut niveau d'études. Cette percée explique que les comtés entourant les grandes villes ont vu des bascules historiques ou des résultats serrés (le comté d'Orange en Californie, les banlieues de San Antonio et Dallas au Texas, les banlieues d'Atlanta en Géorgie). On notera aussi que cette élection a joué à l'extrême la carte gagnants de la mondialisation vs perdants de la mondialisation.
Côté républicains, la main mise sur les
blue collars (ancienne) est désormais complète : Trump a obtenu auprès de cet électorat là des résultats proches (voire meilleurs dans certains comtés) de ceux de Reagan dans les années 1980.
Reste à savoir si ces évolutions vont se pérenniser ou si elles sont la conséquence de l'affiche atypique du duel Clinton-Trump.
En l'état, si on garde les résultats de la présidentielle, si les 2 partis veulent gagner des sièges lors des midterms, les démocrates doivent viser les comtés de banlieues, et les républicains les comtés populaires des Grands Lacs et du Midwest.
[A venir : une analyse plus précise de quelques états clefs ou importants...]