de alamo » Dim 2 Mar 2014 18:32
Il y a en Ukraine 8 à 10 millions de Russes (comme il y a nombre d'Ukrainiens en Russie) et les deux tiers de la population utilisent la langue russe dans sa vie quotidienne. Pour une bonne partie de la population, c'est la langue principale voire unique (c'est le cas par exemple du Président Ianoukovitch). Il est d'ailleurs significatif de voir flotter des drapeaux russes ces derniers jours dans les manifestations non seulement dans les villes situées à l'Est du Dniepr (Kharkov, Dniepropetrovsk, Melitopol...) mais aussi dans le Sud côtier (Odessa).
La Galicie, qui dans son histoire a en effet été rattachée à l'Empire Austro-Hongrois et à la Pologne, est une région à tradition catholique où la détestation des Russes et des orthodoxes est ancienne. Elle a fourni des légions entières de Waffen SS pendant la guerre, dont on voit sans doute les descendants à l'œuvre en ce moment.
Pour le reste, le scénario risque de ne pas être aussi rose que tu le décris.
Ce qui s'est passé en Ukraine ces dernières semaines est un coup d'Etat ressemblant trait pour trait à la majeure partie de ceux que les Etats-Unis ont organisé au long de leur histoire., et notamment dans le passé récent. Le schéma est d'ailleurs le même qu'en Syrie, et le même qu'actuellement au Vénézuela (même principe aussi en Libye, mais là c'est la France qui était à la manœuvre en première ligne). Le parallèle est même assez frappant.
- Préparation de "troupes" aux frontières, prises parmi les extrémistes locaux qui seront prêts à aller à la castagne, avec la complicité d'un pays tiers, faisant partie des pays de l'OTAN limitrophes ou simple affidé : Turquie, Pologne, Colombie...
- Choix du timing : ici évidemment les JO de Sotchi, dont on savait qu'ils paralyseraient la Russie pendant leur déroulement.
- Manifestations organisées par une opposition copieusement financée par les E.U. (5 milliards de dollars dans le cas ukrainien, chiffre indiqué par Victoria Nuland, secrétaire d'Etat adjointe et par ailleurs épouse de R. Kagan, chef de file des néocons va-t-en guerre ayant sévi chez Reagan puis chez Bush), dans lesquelles on trouvera étudiants sensibles aux thèses extrémistes (des islamistes aux néo-nazis), simples chômeurs payés pour l'occasion, et citoyens pouvant être excédés par la situation économique
- mise sur le devant de la scène de politiciens en recherche de pouvoir (et souvent d'avantages financiers l'accompagnant) présentés par les médias occidentaux comme de grands démocrates désintéressés; avantage en Ukraine, ils vivent réellement dans le pays, contrairement à tous les exilés irakiens, libyens ou syriens vivant aux USA ou en Europe de l'ouest.
- grossissement pas les mêmes médias de l'importance des manifestations (quelques dizaines de milliers de personnes en Ukraine, une poignée au Vénézuela, mais on présente ça comme une révolution populaire)
- tirs dans la foule par des tireurs embusqués sur les toits (identique en Syrie, Ukraine, et on l'avait déjà vu si je ne m'abuse en Géorgie) : il est important qu'il y ait des morts parmi les manifestants pour pouvoir accuser le pouvoir, mais aussi dans la police pour la pousser à la riposte musclée (au Venezuela ces derniers jours, les expertises balistiques ont montré qu'un policier et un manifestant pourtant fort éloignés physiquement avaient été tués par la même arme)
- concert de protestations de dirigeants occidentaux accusant le régime de tous les maux et pressions internationales pour pousser les dirigeants du pays à lâcher pour éviter le bain de sang : lorsque ceux-ci (Ianoukovitch) sont faibles, incompétents, sans conviction et estimant qu'ils s'en sont déjà mis suffisamment plein les poches pour pouvoir prendre une retraite tranquille, ça peut marcher assez vite. Les députés du parti au pouvoir sont menacés de mort et empêchés de siéger (les plus opportunistes retournent leur veste) et le Parlement vote la destitution du Président et du Gouvernement, même démocratiquement élu, et nomme à la place ceux que l'on lui a désignés (avec commentaires dithyrambiques de nos médias sur ce nouveau gouvernement qui sollicite "l'approbation du peuple" quand il se présente juste devant ses partisans comme dans un meeting politique; tous les membres présentés n'ont d'ailleurs pas été acclamés, certains ont été hués : les juifs)
Quand on tombe sur un dur (Assad), c'est la guerre civile pour des années.
Dans le cas de l'Ukraine, l'UE a donné l'impression d'être à l'origine des troubles, motivée par le rejet par Ianoukovitch de l'accord de partenariat et de rapprochement (pauvres Ukrainiens, s'ils savaient ce qu'il y a dedans...) pace que les USA ont appris depuis longtemps à rester en arrière, mais en fait l'UE n'a pas un intérêt fort à faire entrer ce pays dans son giron : ouvrir un marché ? le pays est exsangue. un réservoir de main d'œuvre bon marché ? L'Europe croule déjà sous l'immigration, en matière d'esclaves, il y a ce qu'il faut...
En revanche, les USA, en déclin économique et en voie de se faire inéluctablement dépasser par la Chine, sont toujours dans l'illusion d'un monde qu'ils domineraient sans partage dans le domaine militaire et diplomatique. Ils veulent à tout prix éviter que la Russie redevienne une puissance capable de contrecarrer les projets américains de recomposition du monde et de mainmise sur les richesses (ce qui est d'ailleurs déjà un peu le cas, on l'a vu en Syrie, ce qui a fortement inquiété Washington). On n’est jamais que dans la continuation de la politique dont les bases avaient été définies par Z. Brzezinski.
Pour cela d'ailleurs, les Etasuniens, même si un Ukraine membre de l'OTAN dirigé par des affidés serait un idéal, n'ont pas forcément besoin d'un succès dans ce sens : le chaos, la guerre civile et la partition peuvent suffire pour remplir une bonne partie de l’objectif. Tant pis pour le peuple ukrainien…
Les Russes, qui eux-mêmes n'ont aucun besoin de l'Ukraine sur le plan économique (ils sont bien placés pour savoir qu'il n'y a pas un rond...), et qui auraient d'ailleurs plutôt intérêt à voir un Ukraine rétabli économiquement et stabilisé politiquement comme partenaire et voisin, ne peuvent pas accepter de voir ce pays tomber dans l'escarcelle de l'OTAN et installer des bases de missiles US à quelques centaines de kilomètres de Moscou.
Poutine, qui a quelque expérience en matière de barbouzerie, sait pertinemment que les Etats-Unis ont tiré les ficelles du coup d'Etat en Ukraine (la même Mme Nuland avait indiqué qui elle voudrait voir à la tête du pays, elle a été exaucée), et son lancement en plein JO de Sotchi (après les menaces de bains de sang lancés contre ces mêmes JO par des groupes islamistes dont il connaît évidemment les financeurs et commanditaires, Qatar, Arabie saoudite...).
la Crimée (que Krouchtchev avait rattachée à l'Ukraine en 1954 et presqu'ile qui n'est rattachée au reste du pays que par une bande de quelques centaines de mètres) reviendra sans doute dans le giron de la Russie après un référendum où cette option sera fortement majoritaire, mais la majeure partie des populations russophones de l'Est et du Sud n'accepteront sans doute pas non plus de voir arriver au pouvoir les nationalistes et néo-nazis de Svoboda ou du "Secteur Droit" (bras tendus dans tous les meetings par les dirigeants, croix gammées badigeonnées dans les bâtiments investis, sigles nazis omniprésents, saccage systématique de tous les monuments rappelant la défaite du nazisme...), accompagnés d'ailleurs (on les a vus en service d'ordre dans les manifestations) de Tatars islamiste revenus du Jihad en Syrie via la Turquie.
C'est là que l'UE est fort naïve en imaginant qu'une fois la destitution de Ianoukovitch effectuée au profit d'un banquier pro-occidental, l'extrême droite qui a fourni l'essentiel des troupes va se retirer avec le sentiment du devoir accompli. Les nationalistes de Svoboda et autres groupuscules encore plus extrémistes détestent presque autant les Européens de l'ouest que les Russes.
Mais diplomatiquement et militairement l'UE n'est rien, et le bras de fer qui est en train de se durcir est entre le Etats-Unis et la Russie. Le joueur d'échecs Poutine semble faire le pari que les USA n'oseront pas aller au bout et se lancer réellement dans une guerre.
Pari risqué, il aurait peut-être dû lire Audiard...